Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/175

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Myron n’a pas su rendre les passions humaines, donc il a fait une mauvaise vache ; donc, et le peuple qui l’admira et les poëtes qui la chantèrent n’eurent pas le sens commun ; cette conséquence peut être juste, mais je ne la sens pas, non liquet ; et vous trouvez qu’on se faisait dans Athènes de grandes réputations à peu de frais. C’est une façon de penser qui peut être juste, mais qui vous est bien particulière et qui ne fera fortune que quand on aura oublié bien des choses dont il ne tiendrait qu’à moi de vous faire une belle énumération.

Voici encore une autre argumentation dont je ne saisis pas bien ni la force ni la liaison. Pline a dit que Myron varia le premier les attitudes, observa mieux les proportions ; que Polygnote négligea les cheveux et la barbe ; mais il y a dans les bosquets de Versailles une très belle tête de Jupiter qui n’est pas de Myron, car on ne sait sur quel fondement le P. Montfaucon la lui attribue ; et cette tête n’a aucun des défauts que Pline reproche à Myron ; donc Pline ne sait ce qu’il dit. En vérité, mon ami, voilà une logique bien étrange[1].

  1. « J’ai beau feuilleter, je ne trouve point l’endroit où j’ai dit que Myron avait fait une mauvaise vache, et que le peuple qui l’admira et les poètes qui la chantèrent n’eurent pas le sens commun. Il se pourrait fort bien que je n’aie rien dit de semblable. Mais je me suis amusé de la manière équivoque et faible dont Pline juge de Myron. J’ai reproché au P. Montfaucon la preuve insuffisante qu’il donne que le Jupiter des bosquets de Versailles est de ce sculpteur. Enfin, après un éloge fort court de cette belle statue que je crois de Myron, j’ai dit : Il faut bien pour l’honneur de Pline qu’elle n’en soit pas. Mais j’ai oublié d’ajouter : ceci est une ironie.

    « Oui, monsieur, certains talents avaient de la réputation à bon marché. Quand la nation n’était pas physicienne, celui qui savait une mauvaise physique avait de la réputation à bon marché ; celui qui disait que les comètes présageaient de grands malheurs, et qui se faisait croire, avait de la réputation à bon marché. Ceux qui dans leurs tableaux ne savaient pas distinguer les sexes, ceux qui ne savaient pas varier la position des têtes, ceux qui ne savaient pas faire des plis, des muscles, des articulations, etc., et qui étaient célèbres : tous ces habiles gens avaient de la réputation à bon marché. Notez que c’est Pline qui les appelle célèbres. Celebres in ea arte. »