Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/188

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il ne s’agit pas de comparer le suffrage d’un individu avec le suffrage d’un autre.

Quand Louis XV serait pour vous le représentant unique de son siècle, et Louis XIX le représentant unique de tous les siècles à venir, il ne s’agirait pas encore de comparer leurs suffrages, mais de savoir si l’approbation actuelle de l’un est tout, et si l’approbation légitimement présumée de l’autre n’est rien. Prenez garde que votre nez ne devienne un peu de cire[1].

Les gens de lettres ne sont pas aussi libres que vous le pensez, mon ami ; ils ont aussi leurs despotes sans la permission desquels il est défendu de paraître et de réussir.

Vous n’imaginez pas que j’aie un mot à rabattre de tout ce que vous dites du génie nécessaire à votre art, de l’ineptie de certains conseils, de la bassesse de certains artistes, de l’insupportable tyrannie des Le Brun passés, présents et à venir ; de la difficulté de la sculpture ; de l’âme et du talent qu’elle suppose, sous peine de n’être qu’un tailleur de pierres ; du préjugé misérable qui la dégradait, et du mauvais effet des entraves qu’on prétend donner au génie. Notre dispute finirait ici, s’il ne me restait à vous jeter confusément quelques idées dont les unes rentreront dans les précédentes, les autres seront ou nouvelles ou montrées sous un aspect nouveau ; toutes sans vérité, si le sentiment de l’immortalité et le respect de la postérité ne sont que deux chimères[2].

1o  Le désir de la vraie gloire suppose dans les autres le sentiment de la justice ; et la justice s’exige du présent et de l’avenir.

2o  L’animal n’existe que dans le moment, il ne voit rien

  1. « Quoi ! vous avez peur ! vous vous sauvez dans les distinctions ! Il fallait répondre simplement : vous le pouviez sans doute ; je sais le reste ; je ne vous le demandais pas. Le bien qu’une nation dit et pense de vous aujourd’hui ne vous touche-t-il pas un peu plus que le même bien que la même nation en dira et en pensera demain ? Ce n’est pas là un individu. »
  2. « Vous êtes de mon avis sur la liberté qu’on doit laisser au génie, mais n’y aurait-il pas un cas particulier où vous feriez bien de n’en pas être ? S’il se trouvait des artistes, soit peintres, soit sculpteurs, ou tout ce qu’il vous plaira (pourquoi ne s’en trouverait-il pas ?) qui eussent la main excellente et trop peu de tête pour de grandes idées, il conviendrait alors que quelque bon penseur présidât à l’ouvrage et conduisît la main de l’ouvrier. »