Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/207

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Sans doute le peintre pourrait lui choisir d’autres admirateurs, mais certes ce n’eût été ni Ulysse, ni Anténor. Ulysse avait autre chose à faire qu’à admirer une femme ; et je n’ai nul sentiment des convenances, ou le Troyen Anténor, ce perfide méprisé des Grecs et détesté des siens, est mieux dans le recoin où Polygnote l’a caché. Vos conseils, pour cette fois, auraient bien gâté le tableau de Polygnote[1].

Le plat Pausanias ne dit rien de l’expression de Nestor ; donc Nestor est sans expression. Il y a à côté de Nestor un cheval qui s’ébat sur le sable ; donc Nestor s’amuse à regarder ce cheval. Un vieux guerrier décrépit se repose sur sa lance au moment d’un départ ; donc c’est un personnage bête et postiche. Le poëte l’a fait quelquefois pérorer dans l’assemblée des Grecs ; donc le peintre est un sot de ne l’avoir pas fait pérorer ici. Voilà, en vérité, une étrange et bien étrange critique[2].

Je vous fais remarquer que Néoptolème égorge, qu’il est le seul qui égorge encore, que ce rôle sanguinaire lui convient, et ne convient qu’à lui ; et je veux que vous admiriez ce choix d’incidents. Vous ne le voulez pas, vous ; c’est que vous êtes plus difficile que moi, et que vous en avez le droit.

Le Pausanias nous montre six à sept personnages occupés de la même cérémonie religieuse et militaire, sacrifice ou serment n’importe. Il nous les montre sous différents vêtements qui les désignent ; il nous les montre sous les seuls vêtements qui leur

    savez que je n’entends pas le grec ; voyez donc vous-même ce que signifient deux vers qui sont à la fin de l’Iliade.

     
    Οὐ γὰρ τις μοι ἕτ’ ἄλλος ἐνὶ Τροίῃ εὔρείῃ
    Ἤπιος, οὐδὲ φῖίλος· πάντες δέ ηε πεφρίϰασιν
    *.

    « Je crois qu’ils disent, à peu près : Je n’ai plus d’amis dans Troie ; tout le monde me hait et me regarde avec horreur. »

    * Hom., Iliad., ch. xxiv, v. 775,776.

  1. « Je vous remercie de votre errata. Cette faute gâtait une assez bonne observation. En effet, Ulysse et Anténor ne convenaient pas, puisqu’ils n’y sont pas. S’ils y eussent été, que Falconet l’eût trouvé mauvais, vous eussiez vu Diderot trouver mauvais à son tour ceux que son ami eût substitués. Ils auraient bien gâté le tableau de Polygnote. »
  2. « Mon ami, quelle heure était-il quand vous avez lu cet endroit de ma lettre ? »