Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/213

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pilée : d’accord. Que s’ensuit-il de là ? Qu’il tira le premier de la brique un rouge brun et qu’il introduisit sur sa palette une substance nouvelle[1].

S’il est vrai que je me trompe de la meilleure foi du monde, j’ai du moins la bienséance qu’il faut avoir dans la dispute, avantage dont je fais quelque cas.

Les tableaux de Polygnote, des ébauches grossières, imparfaites, les commencements d’un art naissant ! Naissant chez les Grecs, après deux cents ans d’origine ! Ah ! mon ami, un art qui naît après deux cents ans de naissance, et chez une nation qui avait déjà eu quinze peintres de nom[2] !

Vous avez eu beau me crier que Polygnote pouvait être recommandable pour autre chose que son antiquité ; je ne vous écoute pas.

C’est qu’il y a dans tout ce que vous m’avez écrit je ne sais quelle incertitude de sentiment qui désespère. D’abord, vous avancez une opinion, et vous l’avancez net ; puis à mesure que la dispute s’engage, vous vous retranchez, vous vous modifiez au point qu’on ne sait plus quel est votre avis[3].

Relisez bien le passage de Quintilien, et vous verrez que ce grammairien n’avait rien vu de Polygnote, ni d’Aglaophon ; qu’il ne parlait que d’après un on-dit, et qu’il ne s’agit dans son passage que de la préférence de quelques amateurs pour le coloris sévère des anciens maîtres sur celui des maîtres modernes : entre nous qu’est-ce que cela décide sur toutes les autres parties

  1. « Mon bel ami, ce n’est pas là ce qui s’ensuit. Cléophante imagina de peindre ses camaïeux monochromes avec de la terre cuite broyée, parce que ce rouge approchait de la carnation. Il en était là pour tout coloris. On peignait avec du noir et du blanc : il imagina d’y ajouter du rouge de brique pour colorier les chair, ce qui devait être fort désagréable. Voilà ce qui s’ensuit*. »
    * « Il s’ensuit aussi qu’au temps de Polygnote, on peignait les chairs avec une seule couleur (monochromate) qui était le cinabre ou le vermillon ; et que cette couleur fut laissée à cause de son âcreté lorsque Cléophante imagina, plusieurs années après, la terre rouge pour rendre les carnations plus supportables. Voyez Pline, l. XXX, c. vii, et concluez ce qui s’ensuit pour ou contre la peinture de Polygnote. »
  2. « Vous avez mal mis l’adresse ; c’est Quintilien qu’il fallait écrire : ceci ne me regarde pas. »
  3. « J’ai cru qu’en se corrigeant et s’expliquant, on devenait et plus raisonnable et plus clair. »