Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/256

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ne sont pas sans nom. Et quand elle serait libre, dis, mon ami, crois-tu qu’il convînt à un homme qui a le moindre sentiment d’honnêteté, qui jouit dans la société de quelque considération, qui s’y fait respecter par sa justice, par ses mœurs…? n’entends-tu pas tout ce qu’ils diraient et tout ce qu’ils n’auraient que trop raison de dire ? À présent que ma position t’est connue, conseille, parle, ordonne, juge, décide ; mais non, Falconet, je vous récuse. C’est au jugement d’une femme que j’en appelle. Prononcez, mademoiselle Collot.

Mon ami, vous pouvez confier à Sa Majesté Impériale, de ceci, tout ce qu’il vous plaira. Ce n’est point à elle que son philosophe veut cacher sa fêlure. Je serais fâché qu’elle m’estimât plus que je ne vaux, et si j’étais destiné à l’honneur de son service, je commencerais par lui avouer tous mes défauts ; mais tous, afin qu’elle ne fût jamais dans le cas de dire : Je n’avais pas compté sur celui-là.

Si vous ne croyez pas pouvoir lui dire que son philosophe et son ami est amoureux fou, dites-lui, et ce sera la vérité, que j’ai encore quatre volumes de mon grand ouvrage à publier ; que je suis engagé à des commerçants qui ont mis sur ma parole toute leur fortune à une seule entreprise ; que personne ne me peut suppléer, qu’un autre n’obtiendrait ni d’eux ni du public la même confiance ; que quatre à cinq mille citoyens nous ont avancé des fonds considérables qu’ils seraient en droit de redemander d’un moment à l’autre ; que c’est à cet ouvrage que je dois, même de votre aveu, une bonne portion de ma prétendue célébrité ; que ces commerçants que je laisserais ont fait, pendant plus de vingt ans, mon aisance et ma subsistance honnête ; qu’ils sont actuellement dans le fort de leurs rentrées ; combien il leur serait dur de voir ces rentrées ou suspendues ou arrêtées ; et que si la nation, rendant justice à votre talent, vous eût engagé dans l’exécution de quelques-uns de ces grands monuments qu’elle a confiés à des artistes protégés et sans mérite, comme c’est l’ordinaire, vous ne vous fussiez pas cru libre de quitter. Ajoutez qu’en dépit de la paresse de mes subalternes, et de la pusillanimité de mes libraires, avant dix-huit mois je serai affranchi de tout engagement. De tout engagement ! Je mens, il en est un qui sera toujours sacré pour moi.

Ah ! mon ami, que je serais heureux si le général Betztky…