Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/263

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ment un connaisseur. Entre nous, en le rappelant d’ici on a bien secondé les vues du ministre qui l’avait pris en grippe, et le souhait de nos prétendus amateurs parce qu’il mettait le prix aux bonnes choses qu’ils veulent avoir pour rien. Je suis désolé de son absence. Gaignat est mort. Cet homme, qui avait la fureur des livres, des tableaux, sans s’y connaître, laisse après lui la collection la plus parfaite de tableaux et la collection de livres la plus variée. J’ai déjà fait quelques tentatives pour avoir le tout. J’ai vu les héritiers, les légataires, l’exécuteur testamentaire, mais sans autorité, sans caractère, sans mission, beaucoup d’obstacles, peu de moyens pour les vaincre ; que diable voulez-vous que cela devienne, surtout avec la circonspection qu’il faut que je garde, si je ne veux pas me faire lapider par une infinité de gens qui soupiraient depuis longtemps après la mort de Gaignat, et encourir la haine des maîtres qui voient avec dépit des choses précieuses sortir du royaume ? Les imbéciles qu’ils sont ne voient pas que ce qu’ils auraient de mieux à faire, ce serait de faire naître des hommes et non pas d’arrêter aux barrières les productions.

Faites-moi passer les ordres de notre souveraine sur la bibliothèque et sur les tableaux ; car après tout, il faut que je sois reconnaissant et que je lui marque en toute circonstance mon entier dévouement, au hasard de tout ce qui peut en arriver. C’est ma dernière résolution. Ah ! si le prince était ici, comme nous manœuvrerions ! mais il n’y est pas. J’ai vu, revu M. et Mme d’Arconville. J’ai sollicité par écrit et de vive voix votre Pygmalion. J’en suis fâché, mon ami, il n’y a rien à faire, et votre statue animée restera longtemps chez ces riches dévots couverte d’une chemise de satin qu’on lève de temps en temps en faveur des curieux. Votre maison, devenue vacante par le départ du prince, m’a procuré l’occasion de voir quelquefois M. Collin. C’est un tout à fait galant homme, d’une simplicité et d’une bonhomie qui m’ont d’autant plus charmé qu’il a eu tout le temps de s’en défaire. C’est une vraiment bonne tête, c’est une vraiment belle âme que la tête et l’âme qui ont pu résister si longtemps à l’air empesté de la cour. J’aimerais M. Collin et je crois que j’en serais aimé, si nous nous voyions un peu, mais il passe sa vie aux champs, et moi je suis condamné à la ville. Tout est arrangé ; votre maison sera louée et vendue pour la