Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/283

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Espagne, s’arrête à Paris. Il témoigne à l’abbé Raynal le désir de conférer avec quelque homme instruit des choses de politique, de gouvernement et d’administration. M. de la Rivière lui est présenté. Comme la nouveauté et le long enchaînement des principes du philosophe les rendaient difficiles à saisir pour l’ambassadeur, celui-ci demanda et obtint que son instituteur rédigerait ses leçons par écrit. Il en résulta un Mémoire qui fut envoyé à Pétersbourg, et sur lequel on y désira la présence de M. de la Rivière. Le prince de Galitzin entama cette négociation. Il y eut chez le ministre et dans la petite maison du sculpteur plusieurs entrevues secrètes à l’une desquelles j’assistai, et je vis M. de la Rivière pour la première fois de ma vie. Je ne dissimulerai pas la satisfaction que j’eus de me trouver avec l’auteur d’un ouvrage que j’avais approuvé, et d’une apologie de son administration de la Martinique, qui s’était répandue manuscrite, et qui avait fait un honneur infini à ses vues, à sa sagesse et à son intégrité.

J’ignorais encore ce qu’on voulait faire de cet homme ; mais, en attendant, je m’éclairais sur une infinité de questions dont je m’étais plusieurs fois occupé, dont j’avais entendu sans fruit disputer les meilleurs esprits, et que j’avais été tenté d’abandonner comme n’ayant ni rives ni fond. J’admirais la certitude et la fécondité de ses principes, la manière facile dont ils se pliaient aux plus fortes difficultés, et la simplicité avec laquelle mes objections se résolvaient. Tout est écrit dans son livre ; mais c’est pour ceux qui savent lire. Ce fut alors que le mystère de son voyage me fut révélé. J’encourageai le philosophe à partir, par intérêt pour lui-même, par attachement pour le prince, et par le dévouement le plus entier à tout ce qui porte le moindre caractère du désir de notre souveraine. M. de la Rivière devait prétexter le dessein de voyager et de s’instruire, aller seul, parcourir la Hollande, l’Angleterre, l’Allemagne, la Suède, le Danemark, la Pologne et arriver fortuitement en Russie. Les choses s’arrangèrent tout autrement, au grand dépit du prince de Galitzin. Je présume que celui-ci n’a rien fait de son chef. Quant à moi, je n’ai d’autre part, soit au voyage de M. de la Rivière, soit aux arrangements qui l’ont précédé, que quelques lettres de recommandation que mon cœur et mon estime me dictèrent très-fortes. Un de mes souhaits, c’est que ces lettres