Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/426

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des ronces, des joncs, de la mousse, des cailloux. Le coup d’œil en tout à fait pittoresque et sauvage. C’est là qu’on allait chercher, il y a deux mois, le frais contre les chaleurs brûlantes de la saison. Il n’y a plus moyen d’en approcher ; il faut tourner autour et prendre le soleil.

Nous avons été à Amboile[1] : nous avons vu la folie d’un homme à qui il en coûte cent mille écus pour augmenter son château de douze pieds, et nous avons ri. Ce château, avec les eaux qui l’entourent et les coteaux qui le dominent, a l’air d’un flacon dans un seau de glace.....

Vous êtes bien hardie de lire deux pages d’une de mes lettres à votre mère ; mais cela vous a réussi. À la bonne heure pour cette fois, ma mie ; croyez-moi, n’y revenez plus..... Je viens de recevoir votre lettre qui finit par ces mots : « Mercredi, à onze heures. Bonsoir, mon tendre ami ; je dors plus d’à moitié, et je ne vous en aime pas moins. » Je me trompe : c’est, mon amie, que je les ai toutes sous les yeux. La dernière est de jeudi, à minuit. Dieu veuille que vous n’en ayez point écrit depuis. M. Hudet m’a fait dire que la première qui lui viendrait sous enveloppe serait renvoyée à Paris. Je me hâte de vous prévenir, adressez dans la suite : À M. Hudet, pour remettre à M. Diderot ; ou bien envoyez chez le Baron, ou chez M. d’Aine, maître des requêtes, rue de l’Université, avec mon adresse au Grandval ; mais le plus sûr est M. Hudet, pourvu qu’il n’y ait point d’enveloppe : l’enveloppe fait perdre le port au fermier et le bénéfice au directeur. Si ce n’est pas leur compte, ce n’est pas mon intention.

Vos conjectures sur Villeneuve et d’Alembert ne sont pas tout à fait sans fondement. Me voilà hors d’un grand souci. Le paquet errant est arrivé à sa destination ; j’y répondrai, au reste, quand j’en aurai le temps et l’espace ; je ne saurais m’empêcher de vous dire que la fin celui-ci est de la plus grande beauté. J’en suis touché jusqu’aux larmes. Je coucherai aussi sur cette urne. Adieu, ma tendre, ma respectable amie ; je vous aime avec la passion la plus sincère et la plus forte. Je voudrais vous aimer encore davantage, mais je ne saurais.

  1. Amboile ou Ormesson, château situé à côte du Grandval et appartenant alors à la famille d’Ormesson.