Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/510

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ressemblant à rien, ne peuvent être accusés de défaut. Mais, dirais-je à un Chinois, je voudrais bien savoir quelle perfection on y peut louer. On assure cependant qu’ils font d’après nature des choses prodigieuses, quand on l’exige d’eux, et qu’ils saisissent singulièrement la ressemblance. Pour moi, j’aurai toujours peine à croire que la vérité de la couleur, la correction du dessin, et l’intelligence des ombres et des lumières soient portées jusqu’à un certain point chez un peuple qui méprise ces qualités ; à moins que la perfection du travail ne soit le résultat de l’abondance dont il jouit et de la patience de son caractère.

Chère amie, je vais laisser là notre radotage philosophique, pour vous entretenir de sujets plus familiers… Comme nous étions occupés une de ces après-midi, le père Hoop, le Baron et moi, à faire une partie de billard, on entend le bruit d’une voiture légère sur la chaussée ; la porte de la salle de billard s’ouvre subitement. C’est Mme d’Holbach qui entre, et qui nous demande avec une joie qui rayonnait autour de son visage comme une auréole : « Devinez la visite qui nous vient ? » Comme nous ne devinions personne qui nous aimât assez pour venir s’enfermer avec nous par le temps qu’il faisait : « C’est M. Le Roy[1] », nous dit-elle. Nous allâmes tous l’embrasser. Si vous savez combien je l’aime, vous saurez aussi combien il m’a été doux de le voir. Il y avait près de trois mois que j’en avais besoin. Il avait passé tout ce temps à jouir d’une petite retraite qu’il s’est faite dans la forêt. Cette retraite s’appelle les Loges. Malheur aux paysannes innocentes et jeunes qui s’amuseront aux environs des Loges ! Paysannes innocentes et jeunes, fuyez les Loges ! C’est là que le satyre habita. Malheur à celle que le satyre aura rencontrée auprès de sa demeure ! C’est en vain qu’elle tendra ses mains au ciel, et qu’elle appellera sa mère ; le ciel ni sa mère ne l’entendront plus ; ses cris seront perdus dans la forêt ; personne ne viendra qui la délivre du satyre ; et

  1. Ch. Georges Le Roy (1723-1789), lieutenant des chasses des parcs de Versailles et de Marly, collaborateur de l’Encyclopédie. La dernière édition de ses Lettres sur les animaux a été donnée en 1862, par M. le docteur Robinet, chez M. Poulet-Malassis, qui a également réimprimé de Le Roy Louis XV et Mme de Pompadour (Baur, 1875, in-12), étude dont Sainte-Beuve avait signalé la valeur.