Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/518

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en raison du repos qu’il avait pris. « Sans cela vous n’y auriez pas suffi. — Il est vrai ; mais du soir au matin j’étais tout frais pour la peine..... — Mais si, malheureux, vous dormez vos quinze heures ; heureux, combien dormez-vous ? — Presque point. — Le bonheur vous fatigue peu. — On ne peut moins, et puis je répare vite. »

Vous comprenez tout ce que cela doit devenir à table, au dessert, entre douze ou quinze personnes, avec du vin de Champagne, de la gaieté, de l’esprit, et toute la liberté des champs.

Mme Geoffrin fut fort bien ; je fis un piquet avec elle, d’Alinville et le Baron. Je remarque toujours le goût noble et simple dont cette femme s’habille. C’était, ce jour-là, une étoffe simple, d’une couleur austère, des manches larges, le linge le plus uni et le plus fin, et puis la netteté la plus recherchée de tout côté. Elle me demanda de la mère et de l’enfant. Je répondis de l’enfant que je craignais qu’elle n’eût une vie agitée et malheureuse ; car elle était ennuyée du repos. « Tant mieux, me dit-elle, elle se remuera pour les paresseux » ; et elle en prit occasion de faire l’éloge de Mme d’Aine, que son attention continuelle pour nous autres fainéants tenait un pied levé et l’autre en l’air.

Ah ! mon amie, où étiez-vous ? Que faisiez-vous à Isle, où vous étiez, lorsque je vous désirais ici ? Partout où je rencontre le plaisir, je vous y souhaite. Voilà M. Schistre qui prend sa mandore. Le voilà qui joue quelque musique. Quelle exécution ! Tout ce que ses doigts font dire à des cordes est incroyable ; et comme Mme d’Holbach et moi nous n’en perdions pas un mot ! — Le joli courroux ! — Que cette plainte est douce ! — Il se dépite ; il prend son parti. — Je le crois. — Les voilà qui se raccommodent. — Il est vrai. — Le moyen de tenir contre un homme qui sait s’excuser ainsi ! — Il est sûr que nous entendions tout cela.

M. Schistre quitta sa mandore, et la vivacité de notre plaisir devint le sujet de la conversation. Nous les laissâmes dire tout ce qu’ils voulurent, et nous préférâmes jouir en silence du reste de notre émotion. Le moment de palpitation qui suit un grand plaisir est encore un moment fort doux : car le cœur palpite avant et après le plaisir.

Mme Geoffrin ne découche point ; sur les six heures du soir,