Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/519

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elle nous embrassa, et remonta dans sa voiture avec l’ami d’Alinville, et la voilà partie.

Sur les sept heures, ils se sont mis à des tables de jeu, et MM. Le Roy, Gimm, l’abbé Galiani et moi, nous avons causé. Oh ! pour cette fois, je vous apprendrai à connaître l’abbé, que peut-être vous n’avez regardé jusqu’à présent que comme un agréable. Il est mieux que cela.

Il s’agissait entre Grimm et M. Le Roy du génie qui crée et de la méthode qui ordonne. Grimm déteste la méthode ; c’est, selon lui, la pédanterie des lettres. Ceux qui ne savent qu’arranger feraient aussi bien de rester en repos ; ceux qui ne peuvent être instruits que par des choses arrangées feraient tout aussi bien de rester ignorants. « Mais c’est la méthode qui fait valoir. — Et qui gâte. — Sans elle, on ne profiterait de rien. — Qu’en se fatiguant, et cela n’en serait que mieux. Où est la nécessité que tant de gens sachent autre chose que leur métier ? » Ils dirent beaucoup de choses que je ne vous rapporte pas, et ils en diraient encore, si l’abbé Galiani ne les eût interrompus comme ceci :

« Mes amis, je me rappelle une fable, écoutez-la. Elle sera peut-être un peu longue, mais elle ne vous ennuiera pas.

« Un jour, au fond d’une forêt, il s’éleva une contestation sur le chant entre le rossignol et le coucou. Chacun prise son talent. « — Quel oiseau, disait le coucou, a le chant aussi facile, aussi simple, aussi naturel et aussi mesuré que moi ? »

« — Quel oiseau, disait le rossignol, l’a plus doux, plus varié, plus éclatant, plus léger, plus touchant que moi ? »

« Le coucou : « Je dis peu de choses ; mais elles ont du poids, de l’ordre, et on les retient. »

« Le rossignol : « J’aime à parler ; mais je suis toujours nouveau, et je ne fatigue jamais. J’enchante les forêts ; le coucou les attriste. Il est tellement attaché à la leçon de sa mère, qu’il n’oserait hasarder un ton qu’il n’a point pris d’elle. Moi, je ne reconnais point de maître. Je me joue des règles. C’est surtout lorsque je les enfreins qu’on m’admire. Quelle comparaison de sa fastidieuse méthode avec mes heureux écarts ! »

« Le coucou essaya plusieurs fois d’interrompre le rossignol. Mais les rossignols chantent toujours et n’écoutent point ; c’est