Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/65

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ne serez-vous pas consterné, découragé, et ne prendrez-vous pas le parti ou de rester oisif, ou de voler comme les autres ?

Et si, dans ce découragement où vous seriez tombé vous-même à la place du commerçant, s’il arrivait, monsieur, que quelque innovation mal entendue, suggérée par un cerveau creux et adoptée par un magistrat à tête étroite et bornée, se joignît aux dégoûts que l’imprimerie et la librairie et les lettres ont déjà soufferts, et les bannît de la France, voilà vos relieurs, vos doreurs, vos papetiers et d’autres professions liées à celle-ci ruinées. C’est fait de la vente de vos peaux, matières premières que l’étranger saura bien tirer du royaume, lorsque le prix en sera baissé, et vous renvoyer toutes fabriquées, comme il a déjà commencé de faire. Ces suites ne vous paraissent-elles pas inévitables lorsque vos imprimeurs et vos libraires, hors d’état de soutenir leur commerce et leurs manufactures, en seront réduits aux petits profits de la commission ?

Et ne vous flattez pas, monsieur, que le mal soit fort éloigné ! Déjà la Suisse, Avignon et les Pays-Bas, qui n’ont point de copie à payer et qui fabriquent à moins de frais que vous, se sont approprié des ouvrages qui n’auraient dû être et qui n’avaient jamais été imprimés qu’ici.

Avignon surtout, qui n’avait, il y a dix ans, que deux imprimeries languissantes, en a maintenant trente très occupées. Est-ce qu’on écrit à Avignon ? Cette contrée s’est-elle policée ? Y a-t-il des auteurs, des gens de lettres ? Non, monsieur ; c’est un peuple tout aussi ignorant, tout aussi hébété qu’autrefois ; mais il profite de l’inobservation des règlements et inonde de ses contrefaçons nos provinces méridionales. Ce fait n’est point ignoré. S’en alarme-t-on ? Aucunement. Est-ce qu’on s’alarme de rien ? Mais il y a pis. Vos libraires de Paris, monsieur, oui, vos libraires de Paris, privés de cette branche de commerce, soit lâcheté, soit misère, ou toutes les deux, prennent partie de ces éditions. Quant à ceux de province, hélas ! c’est presque inutilement qu’on ouvrirait aujourd’hui des yeux qu’on a tenus si longtemps fermés sur leurs contraventions ; ils ne se donnent plus la peine de contrefaire. Ce vol ne leur est plus assez avantageux, ils suivent l’exemple de la capitale et acceptent les contrefaçons étrangères.

Et ne croyez pas que j’exagère. Un homme que je ne nom-