Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XVIII.djvu/66

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

merai pas, par égard pour son état et pour son mérite personnel, avait conseillé aux imprimeurs de Lyon de contrefaire l’Histoire ecclésiastique de Racine, en quatorze volumes in-douze ; il oubliait en ce moment qu’il en avait coûté aux propriétaires et privilégiés des sommes considérables pour le manuscrit et d’autres sommes considérables pour l’impression. Le contrefacteur, avec moins de conscience, n’était pas fait pour avoir plus de mémoire. Cependant la contrefaçon et le vol conseillé n’ont pas eu lieu. Une édition d’Avignon a arrêté tout court le libraire de Lyon, qui s’en applaudit, parce qu’il a mieux trouvé son compte à prendre partie de la contrefaçon étrangère.

Encore un moment de persécution et de désordre, et chaque libraire se pourvoira au loin selon son débit. Ne s’exposant plus à perdre les avances de sa manufacture, que peut-il faire de plus prudent ? Mais l’État s’appauvrira par la perte des ouvriers et la chute des matières que votre sol produit, et vous enverrez hors de vos contrées l’or et l’argent que votre sol ne produit pas.

Mais, monsieur, vous êtes-vous jamais informé de la nature des échanges du libraire français avec le libraire étranger ? Ce ne sont le plus souvent que de mauvais livres qu’on donne pour d’aussi mauvais qu’on reçoit, des maculatures qui circulent dix fois de magasins en magasins avant que d’arriver à leur vraie destination, et cela après des frais énormes de port et de voiture, qui ne rentrent plus. Loin donc de songer à étendre la concurrence, il serait peut-être mieux de porter l’exclusif jusqu’aux ouvrages imprimés pour la première fois chez l’étranger. Je dis peut-être et je dirais sûrement, s’il était possible d’obtenir la même justice pour lui ; mais il n’y faut pas penser. Les commerçants d’une nation sont et seront toujours en état de guerre avec les commerçants d’une autre. L’unique ressource est donc de fermer l’entrée à leurs éditions, d’accorder des privilèges pour leurs ouvrages au premier occupant, ou, si l’on aime mieux, de les traiter comme les manuscrits des auteurs anciens, dont on ne paye point d’honoraires et qui sont de droit commun, et d’imiter leur célérité à nous contrefaire. Voilà pour les livres qui ne contiennent rien de contraire à nos principes, à nos mœurs, à notre gouvernement,