Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XX.djvu/50

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de raconter ; jette au moule tes phrases l’une après l’autre, comme le fondeur y a jeté, comme le compositeur a arrangé les lettres de ton discours. Un homme qui avait quelquefois de l’éloquence et de la chaleur me disait : « Je ne crois pas en Dieu, mais les six lignes de La Harpe contre l’athéisme sont les seules que je voudrais avoir faites » ; et je pense comme cet homme, non que je croie ces lignes vraies, mais parce qu’elles sont éloquentes ; encore l’orateur n’a-t-il rencontré que la moitié de l’idée. Avant de dire que l’athéisme ne rendait justice qu’au méchant qu’il anéantissait, fallait-il lui reprocher d’affliger l’homme de bien qu’il privait de sa récompense ?

Sans doute, il faut être vrai et dans l’éloge et dans l’histoire ; mais, historien ou orateur, il ne faut être ni monotone, ni froid.

« Je n’use point, dit M. de La Harpe, du droit des panégyristes. » Eh ! de par tous les diables, je le sens bien, et c’est ce dont je me plains.

Et vous avez le front de me louer cela, vous, l’abbé Arnaud, vous qui m’effrayez toujours du frémissement sourd et profond du volcan ou des éclats de la tempête ; vous qui me faites toujours attendre avec effroi ce qui sortira des flancs de cette nuée obscure qui s’avance sur ma tête ! Abandonnez cette aménité élégante et paisible aux mânes froides des gens de la cour, et à la délicatesse mince et fluette de votre collègue[1].

Je vous atteste ici, lecteurs, tous tant que vous êtes, soyez vrais ; et dites-moi si l’on n’est pas toujours le maître de quitter cet éloge, de recevoir une visite, de faire un whist, de se mettre à table et de le reprendre, et si cela fera passer une nuit sans dormir.

Dieu soit loué ! voilà donc encore une demi-page qui aurait été vraiment du ton véhément de l’orateur, si l’on n’y avait pas mis bon ordre par les antithèses, et le nombre déplacé : c’est la peinture de nos misères sur la fin du règne de Louis XIV.

Encore une fois, cet homme a du nombre, de l’éloquence, du style, de la raison, de la sagesse ; mais rien ne lui bat au dessous de la mamelle gauche. Il devrait se mettre pour quelques années à l’école de Jean-Jacques.

L’auteur dira qu’il a choisi ce genre d’écrire tranquille

  1. Suard, qui partageait avec l’abbé Arnaud le privilège de la Gazette de France.