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ténace & fibreux. Après la premiere fonte, on la remet dans une autre usine après l’avoir brisée en morceaux. On trouve dans cette usine une forge à peu près comme celle des Ouvriers en fer, mais plus grande. Son foyer est un creuset de quatorze doigts de diametre sur un peu plus de hauteur. Les parois & le fond de ce creuset sont revêtus de lames de fer. Il y a à la partie antérieure une ouverture oblongue pour retirer les scories. Quant à la tuyere, elle est à une telle distance du fond, que la lame de fer sur laquelle elle est posée, quoiqu’un peu inclinée, ne rencontreroit pas, en la prolongeant, l’extrémité des lames qui revêtent le fond. Depuis la levre inférieure de la tuyere jusqu’au fond, il y a une hauteur de six doigts & demi. Les deux canaux des soufflets se réunissent dans la tuyere qui est de cuivre. Il est nécessaire, pour réussir, que toutes ces pieces soient bien ajustées. On fait trois ou quatre cuites par jour.

Chaque matin, lorsqu’on commence l’ouvrage, on jette dans le creuset des scories, du charbon & de la poudre de charbon pêle-mêle, puis on met dessus la fonte en morceaux ; on la recouvre de charbons. On tient les morceaux dans le feu jusqu’à ce qu’ils soient d’un rouge-blanc, ce qu’on appelle blanc de Lune. Quand ils sont bien pénétrés de feu, on les porte en masse sous le marteau, & cette masse se divise là en parties de trois ou quatre livres chacune. Si le fer est ténace, quand il est rouge, & fragile, quand il est froid, on en bat davantage la masse avant que de la diviser. Si elle se met en gros fragmens, on reporte ces fragmens sur l’enclume pour être soûdivisés.

Cela fait, on prend ces morceaux & on les range dans la forge autour du creuset. On en jette d’abord quelques-uns dans le creuset ; on les y enfonce & ensévelit sous le charbon, puis on rallentit le vent, & on les laisse fondre. Pendant ce tems on sonde avec un fer pointu, & l’on examine si la matiere, prête à entrer en fusion, ne se répand point sur les coins, & hors de la sphere du vent. Si on trouve des morceaux écartés, on les met sous le vent ; & quand tout est fondu, pour entretenir la fusion, on force le vent. La fusion est à son point lorsque les étincelles des scories & de la matiere s’échappent avec vivacité à-travers les charbons, & lorsque la flamme, qui étoit d’abord d’un rouge-noir, devient blanche quand les scories sont enlevées.

Quand le fer a été assez long-tems en fonte, & qu’il est nettoyé de ses crasses, la chaleur se rallentit, & la masse se prend : alors on y ajoûte les autres morceaux rangés autour du creuset ; ils se fondent comme les précédens. On emplit ainsi le creuset dans l’intervalle de quatre heures : les morceaux de fer ont été jettés pendant ces quatre heures à quatre reprises différentes. Quand la masse a souffert suffisamment le feu, on y fiche un fer pointu, on la laisse prendre, & on l’enleve hors du creuset. On la porte sous le marteau, on en diminue le volume en la paitrissant, puis avec un coin de fer on la partage en trois, ou quatre, ou cinq.

Il est bon de savoir que si la tuyere est mal placée, & le vent inégal, ou qu’il survienne quelqu’accident, il ne se forme point de scories, le fer brûle, les lames du fond du creuset ne résistent pas, &c. & qu’il n’y a de remede à cela que de jetter sur la fonte une pelletée ou deux de sable de riviere.

On remet au feu les quatre parties coupées : on commence par en faire chauffer deux, dont l’une est pourtant plus près du vent que l’autre. Lorsque la premiere est suffisamment rouge, on la met en barre sur l’enclume ; pendant ce travail on tient la seconde sous le vent, & on l’étend de même quand elle est assez rouge. On en fait autant aux deux res-

tantes. On leur donne à toutes une forme quarrée,

d’un doigt & un quart d’épaisseur, & de quatre à cinq piés de long. On appelle cet acier acier de forge ou de fonte. On le forge à coups pressés, & on le jette dans une eau courante : quand il y est éteint on l’en retire, & on le remet en morceaux.

On porte ces morceaux dans une autre usine, où l’on trouve une autre forge qui differe de la premiere en ce que la tuyere est plus grande, & qu’au lieu d’être sémi-circulaire elle est ovale ; qu’il n’y a de sa forme ou levre jusqu’au bas du creuset, que deux à trois doigts de profondeur, & que le creuset a dix à onze pouces de large, sur quatorze à seize de longueur. Les morceaux d’acier sont rangés là par lits dans le foyer de la forge. Ces lits sont en forme de grillage, & les morceaux ne se touchent qu’en deux endroits. On couvre cette espece de pyramide de charbon choisi, on y met le feu, & on souffle. Le grillage est sous le vent. Après une demi-heure ou trois quarts d’heure de feu, les morceaux d’acier sont d’un rouge de lune : alors on arrête le vent, & on les retire l’un après l’autre, en commençant par ceux d’en haut : on les porte sous le martinet pour être forgés & mis en barre. Deux ouvriers, dont l’un tient le morceau par un bout & l’autre par l’autre, le font aller & venir dans sa longueur sous le martinet : l’enclume est entre deux. C’est ainsi qu’ils mettent tous les fragmens ou morceaux pris sur la pile ou pyramide & portés sous le martinet, en lames qu’ils jettent à mesure dans une eau courante & froide. Les deux derniers morceaux de la pile, ceux qui la soûtenoient, & qui sont plus grands que les autres, servent à l’usage suivant : on casse toutes les lames, & on en fait une étoffe entre ces deux gros morceaux qui n’ont point été trempés. On prend le tout dans des pinces, on remet cette espece d’étoffe au feu, & on l’y laisse jusqu’à ce qu’elle soit d’un rouge blanc. Cette masse rouge blanche se roule sur de l’argile sec & pulvérisé ; ce qui l’aide à se souder. On la remet au feu, on l’en retire ; on la frappe de quelques coups avec un marteau à main, pour en faire tomber les scories, & aider les lames à prendre. Quand la soudure est assez poussée, on porte la masse sous le martinet, on l’étend & on la met en barres. Ces barres ont neuf à dix piés de long, & sont d’un acier égal, sinon préférable à celui de Carinthie & de Stirie.

Il faut se servir dans toutes ces opérations de charbon de hêtre & de chêne, ou de pin & de bouleau. Les charbons récens & secs sont les meilleurs. Il en faut bien séparer la terre & les pierres. La ouille ou le charbon de terre est très-bon.

Il faut trois leviers aux soufflets pour élever leurs feuilles, & non un ou deux comme aux soufflets de forges, car on a besoin ici d’un plus grand feu.

Quant à ce qui concerne la diminution du fer, il a perdu presque la moitié de son poids avant que d’être en acier : de vingt-six livres de fer crud, on n’en retire que treize d’acier, quelquefois quatorze, si l’ouvrier est très-habile. En général, la diminution est de vingt-quatre livres sur soixante ou soixante-quatre, dans le premier feu : le restant perd encore huit livres au second.

Il faut ménager le feu avec soin : le fer trop chauffé se brûle ; pas assez, il ne donne point d’acier.

Pour obtenir un acier pur & exempt de scories, il faut fondre trois fois ; & sur la fin de la troisieme fonte, jetter dessus une petite partie de fer crud frisé, & mêlé avec du charbon ; mais plus de charbon que de fer.

Pour fabriquer un cent pesant d’acier, ou selon la façon de compter des Suédois, pour huit grandes tonnes, il faut trente tonnes de charbon.

La manufacture d’acier de Quvarnbaka est éta-