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Quoique tous les Peres aient regardé ces deux différens états d’Adam comme le premier anneau auquel tient essentiellement toute la chaîne de la révélation, on peut dire cependant que S. Augustin est le premier qui les ait développés à fond, & prouvé solidement l’un & l’autre dans ses écrits contre les Manichéens & les Pélagiens ; persuadé que pour combattre avec succès ces deux Sectes opposées, il ne pouvoit trop insister sur l’extrème différence de ces deux états, relevant contre les Manichéens le pouvoir du libre arbitre dans l’homme innocent, & après sa chûte, la force toute-puissante de la grace pour combattre les maximes des Pélagiens : mais il n’anéantit jamais dans l’un & l’autre état ni la nécessité de la grace, ni la coopération du libre arbitre.

Les Interpretes & les Rabbins ont formé diverses questions relatives à Adam, que nous allons parcourir, parce qu’on les trouve traitées avec étendue, soit dans le Dictionnaire de Bayle, soit dans le Dictionnaire de la Bible du P. Calmet.

On demande, 1°, combien de tems Adam & Eve demeurerent dans le jardin de délices. Quelques-uns les y laissent plusieurs années, d’autres quelques jours, d’autres seulement quelques heures. Dom Calmet pense qu’ils y pûrent demeurer dix ou douze jours, & qu’ils en sortirent vierges.

2°. Plusieurs auteurs Juifs ont prétendu que l’homme & la femme avoient été créés ensemble & collés par les épaules ayant quatre piés, quatre mains & deux têtes semblables en tout, hors le sexe, & que Dieu, leur ayant envoyé un profond sommeil, les sépara & en forma deux personnes : idée qui a beaucoup de rapport aux Androgynes de Platon. Voyez Androgyne. Eugubin, in Cosmopœia, veut qu’ils aient été unis, non par le dos, mais par les côtés ; ensorte que Dieu, selon l’Ecriture, tira la femme du côté d’Adam : mais cette opinion ne s’accorde pas avec le texte de Moyse, dans lequel on trouveroit encore moins de traces de la vision extravagante de la fameuse Antoinette Bourignon, qui prétendoit qu’Adam avoit été créé hermaphrodite, & qu’avant sa chûte il avoit engendré seul le corps de Jesus-Christ.

3°. On n’a pas moins débité de fables sur la beauté & la taille d’Adam. On a avancé qu’il étoit le plus bel homme qui ait jamais été, & que Dieu, pour le former, se revêtit d’un corps humain parfaitement beau. D’autres ont dit qu’il étoit le plus grand géant qui eût jamais été, & ont prétendu prouver cette opinion par ces paroles de la Vulgate, Josué, ch. XIV. Nomen Hebron ante vocabatur Cariath-arbe, Adam maximus ibi inter Enachim situs est : mais dans le passage le mot Adam n’est pas le nom propre du premier homme, mais un nom appellatif qui a rapport à arbé ; ensorte que le sens de ce passage est : cet homme (Arbé) étoit le plus grand ou le pere des Enachims. Sur ce fondement, & d’autres semblables, les Rabbins ont enseigné que le premier homme étoit d’une taille si prodigieuse, qu’il s’étendoit d’un bout du monde jusqu’à l’autre, & qu’il passa des isles Atlantiques dans notre continent sans avoir au milieu de l’Océan de l’eau plus haut que la ceinture : mais que depuis son péché Dieu appesantit sa main sur lui, & le réduisit à la mesure de cent aunes. D’autres lui laissent la hauteur de neuf cens coudées, c’est-à-dire, de plus de mille trois cens piés, & disent que ce fut à la priere des Anges effrayés de la premiere hauteur d’Adam, que Dieu le réduisit à celle-ci.

4°. On dispute encore aujourd’hui, dans les Ecoles, sur la science infuse d’Adam. Il est pourtant difficile d’en fixer l’étendue. Le nom qu’il a donné aux animaux prouve qu’il en connoissoit les proprietés,

si dans leur origine tous les noms sont significatifs, comme quelques-uns le prétendent. Dieu l’ayant créé parfait, on ne peut douter qu’il ne lui ait donné un esprit vaste & éclairé : mais cette science spéculative n’est pas incompatible avec l’ignorance expérimentale des choses qui ne s’apprennent que par l’usage & par la refléxion. C’est donc sans fondement qu’on lui attribue l’invention des lettres hébraïques, le Pseaume XCI. & quelques ouvrages supposés par les Gnostiques & d’autres Novateurs.

5°. Quoique la certitude du salut d’Adam ne soit pas un fait clairement revélé, les Peres, fondés sur ces mots du Livre de la Sagesse ch. X. v. 2. custodivit & eduxit illum à deticto suo, ont enseigné qu’il fit une solide pénitence. C’est aussi le sentiment des Rabbins, & l’Eglise a condamné l’opinion contraire dans Tatien & dans les Encratites. Adam mourut âgé de neuf cent trente ans, & fut enterré à Hébron, selon quelques-uns qui s’appuient du passage de Josué, que nous avons déja cité. D’autres, en plus grand nombre, soûtiennent qu’il fut enterré sur le Calvaire ; ensorte que le pié de la Croix de Jesus-Christ répondoit à l’endroit même où reposoit le crane du premier homme, afin, disent-ils, que le sang du Sauveur coulant d’abord sur le chef de ce premier coupable, purifiât la Nature humaine comme dans sa source, & que l’homme nouveau fût enté sur l’ancien. Mais S. Jérôme remarque que cette opinion, qui est assez propre à flater les oreilles des peuples, n’en est pas plus certaine pour cela : favorabilis opinio, & mulcens aurem populi, nec tamen vera. In Matth. cap. xxvij.

Le terme d’Adam en matiere de morale & de spiritualité, a des significations fort différentes selon les divers noms adjectifs avec lesquels il se trouve joint. Quand il accompagne ceux-ci, premier, vieil, & ancien, il se prend quelquefois dans un sens littéral, & alors il signifie le premier homme considéré après sa chûte, comme l’exemple & la cause de la foiblesse humaine. Quelquefois dans un sens figuré, pour les vices, les passions déréglées, tout ce qui part de la cupidité & de la nature dépravée par le péché d’Adam. Quand il est joint aux adjectifs nouveau ou second, il se prend toûjours dans un sens figuré, & le plus souvent il signifie Jesus-Christ, comme l’homme Dieu, saint par essence, par opposition à l’homme pécheur, ou la justice d’une ame véritablement chrétienne, & en général toute vertu ou sainteté exprimée sur celle de Jesus-Christ, & produite par sa grace. (G)

* ADAMA, (Geog. anc.) ville de la Pentapole, qui étoit voisine de Gomorrhe & de Sodome, & qui fut consumée avec elles.

* ADAMANTIS, s. (Hist. nat.) nom d’une plante qui croît en Arménie & dans la Cappadoce, & à laquelle Pline attribue la vertu de terrasser les lions & de leur ôter leur férocité. Voyez le liv. XXIV. chap. xvij.

* ADAMIQUE (terre.) adamica terra, (Hist. nat.) Le fond de la mer est enduit d’un limon salé, gluant, gras, mucilagineux & semblable à de la gelée ; on le découvre aisément après le reflux des eaux. Ce limon rend les lieux qu’elles ont abandonnés, si glissans qu’on n’y avance qu’avec peine. Il paroît que c’est un dépôt de ce que les eaux de la mer ont de plus glaireux & de plus huileux, qui se précipitant continuellement de même que le sédiment que les eaux douces laissent tomber insensiblement au fond des vaisseaux qui les renferment, forme une espece de vase qu’on appelle terra adamica. On conjecture qu’outre la grande quantité de poissons & de plantes qui meurent continuellement, & qui se pourrissent dans la mer, l’air contribue encore de quelque chose à l’augmentation du limon dont il s’agit ; car on observe que la terre adamique se trouve en plus