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l’a démontré ci-devant, celui du cerveau n’y en a pas davantage. Il faudroit, à ce qu’il semble, une partie où vinssent aboutir tous les mouvemens des sensations, & telle que M. Descartes avoit imaginé la glande pinéale. Voyez Glande pinéale. Mais il n’est que trop vrai, comme on le verra dans la suite de cet article, que c’étoit une pure imagination de ce Philosophe, & que non-seulement cette partie, mais nulle autre n’est capable des fonctions qu’il lui attribuoit. Ces traces qu’on suppose si volontiers, & dont les Philosophes ont tant parlé qu’elles sont devenues familieres dans le discours commun, on ne sait pas trop bien où les mettre ; & l’on ne voit point de partie dans le cerveau qui soit bien propre ni à les recevoir ni à les garder. Non-seulement nous ne connoissons pas notre ame, ni la maniere dont elle agit sur des organes matériels : mais dans ces organes mêmes nous ne pouvons appercevoir aucune disposition qui détermine l’un plûtôt que l’autre à être le siége de l’ame.

Cependant la difficulté du sujet n’exclut pas les hypotheses ; elle doit seulement les faire traiter avec moins de rigueur. Nous ne finirions point si nous les voulions rapporter toutes. Comme il étoit difficile de donner la préférence à une partie sur une autre, il n’y en a presqu’aucune où l’on n’ait placé l’ame. On la met dans les ventricules du cerveau, dans le cœur, dans le sang, dans l’estomac, dans les nerfs, &c. mais de toutes ces hypotheses, celles de Descartes, de Vieussens & de Lancisi, ou de M. de la Peyronie, paroissent être les seules auxquelles leurs auteurs ayent été conduits par des phénomenes, comme nous l’allons faire voir. M. Vieussens le fils a supposé dans un ouvrage où il se propose d’expliquer le délire mélancholique, que le centre ovale étoit le siége des fonctions de l’esprit. Selon les découvertes ou le système de M. Vieussens le pere, le centre ovale est un tissu de petits vaisseaux très-déliés, qui communiquent tous les uns avec les autres par une infinité d’autres petits vaisseaux encore infiniment plus déliés, que produisent tous les points de leur surface extérieure. C’est dans les premiers de ces petits vaisseaux que le sang artériel se subtilise au point de devenir esprit animal, & il coule dans les seconds sous la forme d’esprit. Au dedans de ce nombre prodigieux de tuyaux presqu’absolument imperceptibles se sont tous les mouvemens auxquels répondent les idées ; & les impressions que ces mouvemens y laissent, sont les traces qui rappellent les idées qu’on a déja eues. Il faut savoir que le centre ovale se trouve placé à l’origine des nerfs ; ce qui favorise beaucoup la fonction qu’on lui donne ici. Voyez Centre ovale.

Si cette méchanique est une fois admise, on peut imaginer que la santé, pour ainsi dire, matérielle de l’esprit, dépend de la régularité, de l’égalité, de la liberté du cours des esprits dans ces petits canaux. Si la plûpart sont affaissés, comme pendant le sommeil, les esprits qui coulent dans ceux qui restent fortuitement ouverts, réveillent au hasard des idées entre lesquelles il n’y a le plus souvent aucune liaison, & que l’ame ne laisse pas d’assembler, faute d’en avoir en même-tems d’autres qui lui en fassent voir l’incompatibilité : si au contraire tous les petits tuyaux sont ouverts, & que les esprits s’y portent en trop grande abondance, & avec une trop grande rapidité, il se réveille à la fois une foule d’idées très vives, que l’ame n’a pas le tems de distinguer ni de comparer ; & c’est-là la frénésie. S’il y a seulement dans quelques petits tuyaux une obstruction telle que les esprits cessent d’y couler, les idées qui y étoient attachées sont absolument perdues pour l’ame, elle n’en peut plus faire aucun usage dans ses opérations ; de sorte qu’elle portera un jugement insensé toutes

les fois que ces idées lui auroient été nécessaires pour en former un raisonnable ; hors de-là tous ses jugemens seront sains, c’est-là le délire mélancholique.

M. Vieussens a fait voir combien sa supposition s’accorde avec tout ce qui s’observe dans cette maladie ; puisqu’elle vient d’une obstruction, elle est produite par un sang trop épais & trop lent, aussi n’a-t-on point de fievre. Ceux qui habitent un pays chaud, & dont le sang est dépouillé de ses parties les plus subtiles par une trop grande transpiration ; ceux qui usent d’alimens trop grossiers ; ceux qui ont été frappés de quelque grande & longue crainte, &c. doivent être plus sujets au délire mélancholique. On pourroit pousser le détail des suppositions si loin qu’on voudroit, & trouver à chaque supposition différente, un effet différent ; d’où il résulteroit qu’il n’y a guere de tête si saine où il n’y ait quelque petit tuyau du centre ovale bien bouché.

Mais quand la supposition de la cause de M. Vieussens s’accorderoit avec tous les cas qui se présentent, elle n’en seroit peut-être pas davantage la cause réelle. Les Anciens attribuoient la pesanteur de l’air à l’horreur du vuide ; & l’on attribue aujourd’hui tous les phénomenes célestes à l’attraction. Si les Anciens sur des expériences réitérées avoient découvert dans cette horreur quelque loi constante, comme on en a découvert une dans l’attraction, auroient-ils pû supposer que l’horreur du vuide étoit vraiment la cause des phénomenes, quand même les phénomenes ne se seroient jamais écartés de cette loi ? Les Newtoniens peuvent-ils supposer que l’attraction soit une cause réelle, quand même il ne surviendroit jamais aucun phénomene qui ne suivît la loi inverse du quarré des distances ? Point du tout. Il en est de même de l’hypothese de M. Vieussens. Le centre ovale a beau avoir des petits tuyaux, dont les uns s’ouvrent & les autres se bouchent : quand il pourroit même s’assûrer à la vûe (ce qui lui est impossible) que le délire mélancholique augmente ou diminue dans le rapport des petits tuyaux ouverts, aux petits tuyaux bouchés ; son hypothese en acquerroit beaucoup plus de certitude, & rentreroit dans la classe du flux & reflux, & de l’attraction considérée relativement aux mouvemens de la lune : mais elle ne seroit pas encore démontrée. Tout cela vient de ce que l’on n’apperçoit par-tout que des effets qui se correspondent, & point du tout dans un de ces effets la raison de l’effet correspondant ; presque toûjours la liaison manque, & nous ne la découvrirons peut-être jamais.

Mais de quelque maniere que l’on conçoive ce qui pense en nous, il est constant que les fonctions en sont dépendantes de l’organisation, & de l’état actuel de notre corps pendant que nous vivons. Cette dépendance mutuelle du corps & de ce qui pense dans l’homme, est ce qu’on appelle l’union du corps avec l’ame ; union que la saine Philosophie & la révélation nous apprennent être uniquement l’effet de la volonté libre du Créateur. Du moins n’avons-nous nulle idée immédiate de dépendance, d’union, ni de rapport entre ces deux choses, corps & pensée. Cette union est donc un fait que nous ne pouvons révoquer en doute, mais dont les détails nous sont absolument inconnus. C’est à la seule expérience à nous les apprendre, & à décider toutes les questions qu’on peut proposer sur cette matiere. Une des plus curieuses est celle que nous agitons ici : l’ame exerce-t-elle également ses fonctions dans toutes les parties du corps auquel elle est unie ? ou y en a-t-il quelqu’une à laquelle ce privilége soit particulierement attaché ? S’il y en a une, quelle est cette partie ? c’est la glande pinéale, a dit Descartes ; c’est le centre ovale, a dit Vieussens ; c’est le corps cal-