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menter à plusieurs fois : si toutefois les prisons n’étoient pas encore une espece de tourmens ; car on y renfermoit les martyrs dans les cachots les plus noirs & les plus infects ; on leur mettoit les fers aux piés & aux mains ; on leur mettoit au cou de grandes pieces de bois, & des entraves aux jambes pour les tenir élevées ou écartées, le patient étant posé sur le dos ; quelquefois on semoit le cachot de têts de pots de terre ou de verre cassé, & on les y étendoit tous nuds & tout déchirés de coups ; quelquefois on laissoit corrompre leurs plaies, & on les laissoit mourir de faim & de soif ; quelquefois on les nourrissoit & on les pansoit avec soin, mais c’étoit afin de les tourmenter de nouveau. On défendoit d’ordinaire de les laisser parler à personne, parce qu’on savoit qu’en cet état ils convertissoient beaucoup d’infideles, souvent jusqu’aux geoliers & aux soldats qui les gardoient. Quelquefois on donnoit ordre de faire entrer ceux que l’on croyoit capables d’ébranler leur constance ; un pere, une mere, une femme, des enfans, dont les larmes & les discours tendres étoient une espece de tentation, & souvent plus dangereux que les tourmens. Mais ordinairement les diacres & les fideles visitoient les martyrs pour les soulager & les consoler.

Les exécutions se faisoient ordinairement hors des villes ; & la plûpart des martyrs, après avoir surmonté les tourmens, ou par miracle, ou par leurs forces naturelles, ont fini par avoir la tête coupée. Quoiqu’on trouve dans l’histoire ecclésiastique divers genres de mort par lesquels les payens en ont fait périr plusieurs, comme de les exposer aux bêtes dans l’amphithéâtre, de les lapider, de les brûler vifs, de les précipiter du haut des montagnes, de les noyer avec une pierre au cou, de les faire traîner par des chevaux ou des taureaux indomptés, de les écorcher vifs, &c. Les fideles ne craignoient point de s’approcher d’eux dans les tourmens, de les accompagner jusqu’au supplice, de recueillir leur sang dans des linceuls ou avec des éponges, de conserver leurs corps ou leurs cendres, n’épargnant rien pour les racheter des mains des bourreaux, au risque de souffrir eux-mêmes le martyre. Quant aux martyrs, & dans les tourmens, & au moment même de la mort, s’ils ouvroient la bouche, ce n’étoit que pour louer Dieu, implorer son secours, édifier leurs freres. Voilà les hommes que les incrédules ne rougissent pas de nous donner pour des entêtés, des fanatiques & même des séditieux justement punis, des hommes qui ne savoient que souffrir, mourir, & bénir leurs persécuteurs. Fleury, mœurs des Chrétiens, part. II. n°. xix. xx. xxj. xxij.

MARTYRES, les (Géogr.) petites îles de l’Amérique septentrionale, comptées entre les Lucaies, ou plutôt ce sont des rochers situés au sud du cap de la Floride, à la hauteur de 25 degrés. Ils sont disposés en rang, est & ouest. On leur a donné ce nom de l’image qu’ils représentent quand on les découvre de soin en mer ; il semble que ce soient des hommes empalés ; & ils sont diffamés par plusieurs naufrages. (D. J.)

MARTYROLOGE, s. m. (Théologie.) liste ou catalogue des martyrs : ce mot vient de μάρτυρ, témoin, & de λέγω, dico, discours. D’autres disent de λέγω, colligo, je ramasse. Voyez Martyr.

Le martyrologe, à proprement parler, ne contient que le nom, le lieu & le jour du martyre de chaque saint. Toutes les sectes ont aussi des livres de l’histoire de leurs martyrs, qu’ils ont aussi appellés martyrologe. Cette coutume de dresser des martyrologes est empruntée des Payens, qui inscrivoient le nom de leurs héros dans leurs fastes pour conserver à la postérité l’exemple de leurs belles actions. Baronius donne au pape Clément la gloire d’avoir intro-

duit l’usage de recueillir les actes des martyrs. Voyez

Actes.

Le martyrologe d’Usebe de Césarée a été l’un des plus célebres de l’ancienne Eglise. Il fut traduit en latin par S. Jérôme ; mais les savans conviennent qu’il ne se trouve point.

Celui qu’on attribue à Bede dans le viij. siecle, est assez suspect en quelques endroits. On y remarque le nom de quelques saints qui ont vécu après lui. Le ix. siecle fut très-fécond en martyrologes. On y vit paroître celui de Florus, soudiacre de l’église de Lyon, qui ne fit pourtant que remplir les vuides du martyrologe de Bede : celui de Wandelbertus, moine du diocese de Trèves : celui d’Usuard, moine françois, qui le composa par l’ordre de Charles le Chauve ; c’est le martyrologe dont l’Eglise romaine se sert ordinairement : celui de Pabanus Maurus, qui est un supplément à celui de Bede & de Florus, composé vers l’an 845 : celui de Notkerus, moine de S. Gal, publié en 894.

Le martyrologe d’Adon, moine de Ferrieres en Gatinois, puis de Prom, dans le diocese de Trèves, & enfin archevêque de Sienne, est une suite & un descendant du romain, si l’on peut parler ainsi. Car voici comme le P. du Sollier marque sa généalogie.

Le martyrologe de S. Jérôme est le grand romain. De celui-là on a fait le petit romain imprimé par Roswicy. De ce petit romain avec celui de Bede, augmenté par Florus, Adon a fait le sien, en ajoutant à ceux-là ce qui y manquoit. Il le compila à son retour de Rome, en 858. Le martyrologe de Nevelon, moine de Corbie, écrit vers l’an 1089, n’est proprement qu’un abrégé d’Adon, avec les additions de quelques saints. Le P. Kirker parle d’un martyrologe des Koptes, gardé aux Maronites à Rome. On a encore divers autres martyrologes, tels que celui de Notger surnommé le Begue, moine de l’abbaye de S. Gal en Suisse, fait sur celui d’Adon. Le martyrologe d’Augustin Belin, de Padoue ; celui de François Maruli, dit Maurolicus ; celui de Vander Meulen, autrement Molanus, qui rétablit le texte d’Umard, avec de savantes remarques. Galerini, protonotaire apostolique, en dédia un à Grégoire XIII. mais qui ne fut point approuvé. Celui que Baronius donna ensuite accompagné de notes, fut mieux reçu & approuvé par le pape Sixte V. & il a depuis passé pour le martyrologe moderne de l’Eglise romaine. M. l’abbé Chastelain, si connu par son érudition, donna, en 1709, un texte du martyrologe romain, traduit en françois, avec des notes, & avoit entrepris un commentaire plus étendu sur tout le martyrologe, dont il a paru un volume.

Quant à la différence qui se trouve dans les narrations de quelques martyrologes, & au peu de certitude des faits qui y sont quelquefois rapportés, voici quelles en sont les causes. 1°. La malignité des hérétiques, ou le zele peu éclairé de quelques chrétiens des premiers tems, qui ont supposé des actes. 2°. La perte des actes véritables arrivée dans la persécution de Diocletien, ou occasionnée par l’invasion des Barbares ; actes auxquels on en a substitué d’autres, sans avoir de bons mémoires. 3°. Les falsifications commises par les hérétiques. 4°. La crédulité des légendaires, & leur audace à fabriquer des actes à leur fantaisie. 5°. La dévotion mal entendue des peuples, qui a accrédité plusieurs traditions ou incertaines, ou fausses, ou suspectes. 6°. La timidité des bons écrivains, qui n’ont osé choquer les préjugés populaires. Il est vrai pourtant que, depuis la renaissance des lettres, & les progrés qu’a fait la critique, les Bollandistes, MM. de Launoy, de Tillemont, Baillet, & plusieurs autres, ont purgé les vies des saints de plusieurs traits, qui, loin de tourner à l’édification des fideles, servoient de ma-