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dispersa une multitude de ses éleves dans toute la Grece, après les avoir instruits des principes de l’art & leur avoir fourni tout ce qui leur étoit nécessaire pour la pratique. Il leur avoit recommandé à tous de traiter les malades, quels qu’ils fussent, dans les lieux de leur mission ; d’observer la terminaison des maladies ; de l’avertir exactement de leurs especes & de l’effet des remedes ; en un mot, de lui envoyer une histoire fidele & impartiale des évenemens. C’est ainsi qu’il rassembla en sa faveur toutes les circonstances qui pouvoient concourir à la formation d’un médecin unique.

Peu d’auteurs ont embrassé toutes les maladies qui ont paru dans une seule ville. Hippocrate a pu traiter de toutes celles qui désolerent les villages, les villes & les provinces de la Grece. Cela seul suffisoit sans doute pour lui donner la supériorité sur ceux qui avoient exercé & qui exerceront dans la suite la même profession, mais sans avoir les mêmes ressources que lui, & sans être placés dans des circonstances aussi favorables.

Telle étoit, en un mot, l’étendue des lumieres d’Hippocrate, que les plus savans d’entre les Grecs, les plus polis d’entre les Romains, & les plus ingénieux d’entre les Arabes n’ont que confirmé sa doctrine, en la répétant dans leurs écrits. Hippocrate a fourni aux Grecs tout ce que Dioclès, Arétée, Rufus l’éphesien, Soranus, Galien, Aeginette, Trallien, Aëtius, Oribase ont dit d’excellent. Celse & Pline les plus judicieux d’entre les Romains ont eu recours aux décisions d’Hippocrate, avec cette vénération qu’ils avoient pour les oracles ; & les Arabes n’ont été que les copistes d’Hippocrate, j’entends toutes les fois que leurs discours sont conformes à la vérité.

Enfin que dirai-je de plus à l’honneur de ce grand homme, si ce n’est qu’il a servi de modele à presque tout ce qu’il y a eu de savans Médecins depuis sont siecle, ou que les autres se sont formés sur ceux qui l’avoient pris pour modele ? Son mérite ne demeura pas concentré dans l’étendue d’une ville ou d’une province : il se fit jour au loin, & lui procura la vénération des Thessaliens, des insulaires de Cos, des Argiens, des Macédoniens, des Athéniens, des Phocéens & des Doriens. Les Illyriens & les Poeoniens le regarderent comme un dieu, & les princes étrangers invoquerent son assistance. Les nations opulentes honorerent sa personne, & le récompenserent de ses services par de magnifiques présens ; & l’histoire nous apprend que ses successeurs dans l’art de guérir ont acquis, en l’imitant, la confiance des rois & des sujets, & sont parvenus au comble de la gloire, des honneurs & de l’opulence en marchant sur ses traces.

Il laissa deux fils, Thessalus & Draco, qui lui succéderent dans l’exercice de la Medecine, avec une fille qu’il maria à Polybe un de ses éleves. Thessalus l’aîné a fait le plus de bruit. Galien nous apprend qu’il étoit en haute estime à la cour d’Archélaüs, roi de Macédoine, dans laquelle il passa la plus grande partie de sa vie. Quant à Draco, frere de Thessalus, on n’en sait aucune particularité, si ce n’est qu’il eut un fils nommé Hippocrate, qui fut médecin de Roxane, femme d’Alexandre le grand. Polybe paroît encore s’être acquis le plus de réputation, suivant le témoignage de Galien.

Les premiers médecins qui se soient illustrés dans leur profession, après Hippocrate, ses fils & son gendre, furent Dioclès de Caryste, Praxagore de la secte des dogmatiques, Chrisippe de Onide, Erasistrate & son contemporain Hérophile, voyez leurs articles. C’est assez de remarquer ici que ce fut au tems d’Erasistrate & d’Hérophile, si l’on s’en rapporte à Celse, que la Médecine, qui jusqu’alors avoit

été exercée avec toutes ses dépendances par une seule personne, fut partagée en trois parties, dont chacune fit dans la suite l’occupation d’une personne différente. Ces trois branches furent la diététique, la pharmaceutique & la chirurgique. On seroit porté à croire que Celse a voulu caractériser les trois professions, par lesquelles la Médecine s’exerce aujourd’hui ; celle des Médecins, celle des Chirurgiens, & celle des Apothicaires : mais ces choses n’étoient point alors sur le même pié que parmi nous ; car, par exemple, les plaies, les ulceres, & les tumeurs étoient le partage des Médecins pharmaceutiques, à-moins que l’incision ne fût nécessaire.

On vit après la mort d’Erasistrate & d’Hérophile une révolution dans la Médecine bien plus importante, ce fut l’établissement de la secte empirique. Elle commença avec le xxxviij. siecle, environ 287 ans avant la naissance de Jesus-Christ. Celse nous apprend dans la préface de son premier livre, que Sérapion d’Alexandrie fut le premier qui s’avisa de soutenir qu’il est nuisible de raisonner en Médecine, & qu’il falloit s’en tenir à l’expérience ; qu’il défendit ce sentiment avec chaleur, & que d’autres l’ayant embrassé, il se trouva chef de cette secte. D’autres nomment au lieu de Sérapion, Philinus de Cos, disciple d’Hérophile. Quoi qu’il en soit, le nom d’empirique ne dérive point d’un fondateur ou d’un particulier qui se soit illustré dans cette secte, mais du mot grec ἐμπειρία, expérience.

On connoît assez les différentes révolutions que les théories imaginaires en se succédant ont occasionnées dans la Médecine, & les influences qu’elles ont eu sur la pratique. On ne conçoit pas moins que les dogmatiques & les empiriques, en disputant les uns contre les autres, ne s’écarterent jamais de la fin ordinaire qu’on se propose dans les disputes, je veux dire la victoire, & non la recherche de la vérité ; aussi la querelle sut longue, quoique le sujet en fût très-simple. Les dogmatiques prétendoient-ils qu’on ne pouvoit jamais appliquer les remedes, sans connoître les causes premieres de la maladie : certes s’ils avoient raison, les malades & les médecins seroient dans un état bien déplorable. D’un autre côte, n’est-il pas constant que les maladies ont des causes purement méchaniques, qu’il importe à la Médecine de les connoître, que le médecin habile les découvre souvent, & qu’alors il ne balance point dans le choix & l’application des remedes.

Il est inutile de nous arrêter à parler des défenseurs de la nouvelle secte empirique, entre lesquels Héraclide le Tarentin se distingua ; je ne parlerai pas non plus de la théorie & de la pratique d’Asclépiade, qui paroît avoir mis trop de confiance dans son esprit, & s’être formé des monstres pour justifier son adresse à les combattre : mais je dois dire quelque chose de la secte fondée par Thémison qui prit l’épithete de méthodique, parce que le but qu’il se proposa étoit de trouver une méthode qui rendit l’étude & la pratique de la Médecine plus aisées. Voici en peu de mots quels étoient ses principes.

1°. Il disoit que la connoissance des causes n’étoit point nécessaire, pourvû qu’on connût bien l’analogie ou les rapports mutuels des maladies, qu’il réduisoit à deux ou trois especes : celles du premier genre naissoient du resserrement ; celles du second genre provenoient du relâchement ; & celles du troisieme, de l’une & de l’autre de ces causes.

2°. Il rejettoit la connoissance des causes occultes avec les empiriques, & admettoit avec les dogmatiques l’usage de la raison.

3°. Il comptoit pour rien toutes les indications que les dogmatiques tiroient de l’âge du malade, de ses forces, de son pays, de ses habitudes, de