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dre les vaisseaux, & de s’ouvrir une issue par les arteres capillaires de la matrice. La plethore arrive plus aux femmes, qu’aux femelles des animaux qui ont les mêmes parties, à cause de la situation droite des premieres, & que le vagin & les autres conduits se trouvent perpendiculaires à l’horison, ensorte que la pression du sang se fait directement contre leurs orifices ; au-lieu que dans les animaux, ces conduits sont paralleles à l’horison, & que la pression du sang se fait entierement contre leurs parties latérales ; l’évacuation, suivant le même auteur, se fait par la matrice plutôt que par d’autres endroits, parce que la structure des vaisseaux lui est plus favorable, les arteres de la matrice étant fort nombreuses, les veines faisant plusieurs tours & détours, & étant par conséquent plus propres à retarder l’impétuosité du sang. Ainsi, dans un cas de plethore les extrémités des vaisseaux s’ouvrent facilement, & l’évacuation dure jusqu’à ce que les vaisseaux soient déchargés du poids qui les accabloit.

Telle est en substance la théorie du docteur Freind, par laquelle il explique d’une maniere très-méchanique & très-philosophique, les symptomes des menstrues.

A ce qui a été dit, pourquoi les femmes ont des menstrues plutôt que les hommes, on peut ajoûter, selon Boerhaave, que dans les femmes l’os sacrum est plus large & plus avancé en-dehors, & le coccyx plus avancé en dedans, les os innominés plus larges & plus évasés, leurs parties inférieures, de même que les éminences inférieures du pubis, plus en dehors que dans les hommes. C’est pourquoi la capacité du bassin est beaucoup plus grande dans les femmes, & néanmoins dans celles qui ne sont pas enceintes, il n’y a pas beaucoup de choses pour remplir cette capacité. De plus, le devant de la poitrine est plus uni dans les femmes que dans les hommes, & les vaisseaux sanguins, les vaisseaux lymphatiques, les nerfs, les membranes & les fibres sont beaucoup plus lâches : de-là vient que les humeurs s’accumulent plus aisément dans toutes les cavités, les cellules, les vaisseaux, &c. & celles-ci plus sujettes à la plethore.

D’ailleurs, les femmes transpirent moins que les hommes, & arrivent beaucoup plutôt à leur maturité. boerhaave ajoûte à tout cela la considération du tissu mol & pulpeux de la matrice, & le grand nombre de veines & d’arteres dont elle est fournie intérieurement.

Ainsi, une fille en santé étant parvenue à l’âge de puberté, prépare plus de nourriture que son corps n’en a besoin ; & comme elle ne croît plus, cette surabondance de nourriture remplit nécessairement les vaisseaux, sur-tout ceux de la matrice & des mammelles, comme étant les moins comprimés. Ces vaisseaux seront donc plus dilatés que les autres, & en conséquence les petits vaisseaux latéraux s’évacuant dans la cavité de la matrice, elle sera emplie & distendue, c’est pourquoi la personne sentira de la douleur, de la chaleur, & de la pesanteur autour des lombes, du pubis, &c. en même tems les vaisseaux de la matrice seront tellement dilatés qu’ils laisseront échapper du sang dans la cavité de la matrice ; l’orifice de ce viscere se ramollira & se relâchera & le sang en sortira. A mesure que la plethore diminuera, les vaisseaux seront moins distendus, se contracteront davantage, retiendront la partie rouge du sang, & ne laisseront échapper que la sérosité la plus grossiere, jusqu’à ce qu’enfin il ne passe que la sérosité ordinaire. De plus il se prépare, dans les personnes dont nous parlons, une plus grande quantité d’humeur, laquelle est plus facilement reçue dans les vaisseaux une fois dilatés : c’est pourquoi les menstrues suivent différens périodes en différentes personnes.

Cette hypothese, quoique très-probable, est combattue par le docteur Drake, qui soutient qu’il n’y a point de pareille plethore, ou qu’au-moins elle n’est pas nécessaire pour expliquer ce phénomene. Il dit, que si les menstrues étoient les effets de la plethore, les symptomes qui en resultent, comme la pesanteur, l’engourdissement, l’inaction, surviendroient peu-à-peu & se feroient sentir longtems avant chaque évacuation ; que les femmes recommenceroient à les sentir aussi-tôt après l’écoulement, & que ces symptomes augmenteroient chaque jour : ce qui est entierement contraire à l’expérience ; plusieurs femmes dont les menstrues viennent régulierement & sans douleur, n’ayant pas d’autre avertissement ni d’autre signe de leur venue, que la mesure du tems ; ensorte que celles qui ne comptent pas bien, se trouvent quelquefois surprises, sans éprouver aucun des symptomes que la plethore devroit causer. Le même auteur ajoûte, que dans les femmes même, dont les menstrues viennent difficilement, les symptomes, quoique très-fâcheux & très-incommodes, ne ressemblent en rien à ceux d’une plethore graduelle. D’ailleurs, si l’on considere les symptomes violens qui surviennent quelquefois dans l’espace d’une heure ou d’un jour, on sera fort embarrassé à trouver une augmentation de plethore assez considérable pour causer en si peu de tems un si grand changement. Selon cette hypothese, la derniere heure avant l’écoulement des menstrues n’y fait pas plus que la premiere, & par conséquent l’altération ne doit pas être plus grande dans l’une que dans l’autre, mettant à part la simple éruption.

Voilà en substance les raisons que le docteur Drake oppose à la théorie du docteur Freind, laquelle, nonobstant toutes ces objections, est encore, il faut l’avouer, la plus raisonnable & la mieux entendue, qu’on ait proposée jusqu’ici.

Ceux qui la combattent ont recours à la fermentation, & prétendent que l’écoulement des menstrues est l’effet d’une effervescence du sang. Plusieurs auteurs ont soutenu ce sentiment, particulierement les docteurs Charleton, Graaf & Drake. Les deux premiers donnent aux femmes un ferment particulier, qui produit l’écoulement, & affecte seulement, ou du moins principalement la matrice. Graaf, moins précis dans ses idées, suppose seulement une effervescence du sang produite par un ferment, sans marquer quel est ce ferment, ni comment il agit. La surabondance soudaine du sang a fait croire à ces auteurs, qu’elle provenoit de quelque chose d’étranger au sang, & leur a fait chercher dans les parties principalement affectées, un ferment imaginaire, qu’aucun examen anatomique n’a jamais pu montrer ni découvrir, & dont aucun raisonnement ne prouve l’existence. D’ailleurs, la chaleur qui accompagne cette surabondance les a portés à croire qu’il y avoit dans les menstrues autre chose que de la plethore & que le sang éprouvoit alors un mouvement intestin & extraordinaire.

Le docteur Drake enchérit sur cette opinion d’un ferment, & prétend non-seulement qu’il existe, mais encore qu’il a un reservoir particulier. Il juge par la promptitude & la violence des symptomes, qu’il doit entrer beaucoup de ce ferment dans le sang en très-peu de tems, & par conséquent, qu’il doit être tout prêt dans quelques reservoirs, où il demeure sans action, tandis qu’il n’en sort pas. Le même auteur va encore plus loin, & prétend démontrer que la bile est ce ferment, & que la vesicule du fiel en est le reservoir. Il croit que la bile est très propre à exciter une fermentation dans le sang, lorsqu’elle y entre dans une certaine quantité ; & comme elle est contenue dans un reservoir qui ne lui