Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 10.djvu/340

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point de saturation. Aussi n’est-ce pas là une vraie dissolution, l’eau ne dissout point proprement un liquide aqueux, composé tel qu’est tout liquide, composé miscible à l’eau ; elle ne fait que l’étendre, c’est-à-dire entrer en aggrégation avec l’eau liquéfiante du liquide aqueux composé. Ceci recevra un nouveau jour de ce qui est dit de la liquidité empruntée au mot Liquidité (Chimie), voyez cet article, & de l’état des mixtes artificiels dans la formation desquels entre l’eau à l’article Mixtion, voyez cet article.

6°. Il est indifférent à l’essence de la dissolution que le corps dissous demeure suspendu dans le sein de la liqueur dissolvante, ou, ce qui est la même chose, soit réduit dans l’état de liquidité. Il y a tout aussi bien dissolution réelle dans la production d’un amalgame solide, dans celle du tartre vitriolé formé par l’effusion de l’huile de vitriol ordinaire sur l’alkali fixe concret, ou sur l’huile de tartre ordinaire, dans l’offa de Vanhelmont, dans la préparation du précipité blanc, &c. quoique les produits de ces dissolutions soient des corps concrets, que dans la préparation d’un sirop, d’un bouillon, &c. quoique ces dernieres dissolutions restent sous forme liquide.

Enfin il est des corps qui ne peuvent être dissous tant qu’ils sont en masse solide, & même d’autres que leur dissolvant propre n’attaque point, encore qu’ils soient dans l’état de liquidité, & qui ont besoin pour obéir à l’action d’un menstrue d’avoir été déja divisés jusques dans leurs corpuscules primitifs par une dissolution précédente. C’est ainsi que le mercure crud ou en masse n’est point dissout par l’acide du sel marin, qui exerce facilement sa vertu menstruelle sur ce corps lorsqu’il a été précédemment dissout par l’acide nitreux. Voyez Mercure, Chimie. Il est facile de déduire de ces principes l’idée vraie & générale de la dissolution, de reconnoître qu’elle n’est autre chose qu’une mixtion artificielle, c’est-à-dire que l’union mixtive déterminée par l’apposition artificielle de deux substances diverses & appropriées ou miscibles.

Il est encore aisé d’en conclure que les explications méchaniques que certains Physiciens ont donné de ce phénomene, & dont le précis est exposé, article Chimie, page 415, col. 2, tombent d’elles-mêmes par ces seules observations ; car enfin ces explications ne portant que sur la disgrégation & la liquefaction des corps concrets, & ces changemens étant purement accidentels & très-secondaires lors même qu’ils ont lieu, il est évident que ces explications ne peuvent être qu’insuffisantes. D’ailleurs la nécessité de l’appropriation ou rapport des sujets de la dissolution & l’union intime, ou la mixtion qui en est la suite, dérangent absolument toutes ces spéculations méchaniques ; il n’est pas possible à quelque torture qu’on se mette pour imaginer des proportions de molécules, d’interstices, de figures, &c. d’attribuer aux instrumens méchaniques un choix pareil à celui qu’on observe dans les dissolutions ; & il est tout aussi difficile de résoudre cette objection victorieuse, savoir l’union de l’instrument avec le sujet sur lequel il a agi, car les instrumens méchaniques se séparent dès que leur action a cessé des corps qu’ils ont divisés, selon que leur diverse pesanteur, ou telle autre cause méchanique agit diversement sur ces différens corps. C’est une des raisons par laquelle Boerhaave qui a d’ailleurs beaucoup trop donné aux causes méchaniques dans sa théorie de l’action menstruelle, voyez elementa chemiæ, pars altera, de menstruis, infirme les explications purement méchaniques. Cet auteur observe aussi avec raison qu’un instrument méchanique, un coin, par exemple, ne peut point agir en se prome-

nant doucement (sola levi circumnatatione) autour

du corps à diviser, qu’il doit être chassé à coups redoublés, & que certainement on ne trouve point cette cause impulsive dans des particules nageant paisiblement dans un fluide, in particulis molli fluido placidè circumfusis omni causâ adigente carentibus, &c.

La cause de la dissolution est donc évidemment l’exercice de la propriété générale des corps que les Chimistes appellent miscibilité, affinité, rapport, &c. voyez Rapport, ou, ce qui revient au même, la tendance à l’union mixtive, voyez encore Mixtion.

Si cette tendance est telle que l’union aggrégative des sujets de la dissolution en puisse être vaincue, la dissolution aura lieu, quoique ces sujets ou du moins l’un d’eux soit dans l’état de l’aggrégation la plus stable, c’est-à-dire qu’il soit concret ou solide. Il arrivera au contraire quelquefois que la force du lien aggrégatif sera supérieure à la force de miscibilité ; & alors la dissolution ne pourra avoir lieu, qu’on n’ait vaincu d’avance la résistance opposée par l’union aggrégative, en détruisant cette union par divers moyens. Ces moyens les voici : 1°. Il y en a un qui est de nécessité absolue ; savoir, que l’un des sujets de la dissolution soit au-moins sous la forme liquide ; car on voit bien, & il est confirmé par l’expérience, que des corps concrets, quand même ils seroient réduits dans l’état d’une poudre très-subtile, ne sauroient se toucher assez immédiatement pour que leurs corpuscules respectifs se trouvassent dans la sphere d’activité de la force mixtive. Cette force qui est à cet égard la même que celle que les Physiciens appellent attraction de cohésion, ne s’exerce, comme il est assez généralement connu, que dans ce qu’on appelle le contact, & qu’il ne faut appeller qu’une grande vicinité. Voyez l’article Chimie.

C’est cette condition dans le menstrue que les Chimistes ont entendue, lorsqu’ils ont fait leur axiome, corpora, ou plûtôt menstrua non agunt nisi sint soluta.

La liquidité sert d’ailleurs à éloigner du voisinage du corps ; à dissoudre les parties du menstrue, à mesure qu’elles se sont chargées & saturées d’une partie de ce corps, & en approcher successivement les autres parties du menstrue : car il ne faut pas croire que la liquidité consiste dans une simple oscillation, c’est-à-dire dans des éloignemens & des rapprochemens alternatifs & uniformes de ces parties. Tout liquide est agité par une espece de bouillonnement ; le feu produit dans son sein des tourbillons, des courans, comme nous l’avons déjà insinué à l’article Chimie ; & quand même cette assertion ne seroit point prouvée d’ailleurs, elle seroit toujours démontrée par les phenomenes de la dissolution. Au reste la liquidité contribue de la même maniere à la dissolution ; elle est une condition parfaitement semblable, soit qu’elle reside dans un corps naturellement liquide sous la température ordinaire de notre atmosphere, ou qu’elle soit procurée par un degré très-fort de feu artificiel, ou, pour s’exprimer plus chimiquement, que cette liquidité soit aqueuse, mercurielle ou ignée. Il faut remarquer seulement que les menstrues qui jouissent de la liquidité aqueuse, sont tous, excepté l’eau pure, composés de l’eau liquéfiante & d’un autre corps, lequel est proprement celui dont on considere l’action menstruelle : en sorte que dans l’emploi de ces menstrues aqueux composés, il faut distinguer une double dissolution ; celle du corps à dissoudre par le principe spécifique du menstrue aqueux composé, les corpuscules acides, par exemple, répandus dans la liqueur aqueuse composée, appellée acide vitriolique, & la dissolution par l’eau du nouveau corps résultante de la