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La méthode de M. Leeuwenhoeck de calculer la grandeur des sels dans les fluides, des petits animaux in semine masculino, dans l’eau de poivre, &c. étoit de les comparer avec la grosseur d’un grain de sable, & il faisoit ces calculs de la maniere suivante.

Il observoit avec son microscope un grain de sable de mer, tel que cent de ces grains placés bout-à-bout, forment la longueur d’un pouce ; ensuite observant un petit animal qui en étoit proche, & le mesurant attentivement des yeux, il concluoit que le diametre de ce petit animal étoit, par exemple, moindre que la douzieme partie du diametre du grain de sable ; que par conséquent, selon les regles communes, la surface du grain de sable étoit 144 fois, & toute la solidité 1728 fois plus grande que celle de ce petit animal. Il faisoit le même calcul proportionnel, suivant la petitesse des animaux qu’il exposoit au microscope.

Voici la méthode dont se servoit M. Hook pour connoître combien un objet est grossi par le microscope. « Ayant, dit-il, rectifié le microscope pour voir très distinctement l’objet requis : dans le même moment que je regarde cet objet à travers le verre d’un œil, je regarde avec l’autre œil nud d’autres objets à la même distance ; par-là je suis en état, au moyen d’une regle divisée en pouces & en petites parties, & placée au pié du microscope, de voir combien l’apparence de l’objet contient de parties de cette regle, & de mesurer exactement le diametre de cette apparence, lequel étant comparé avec le diametre qu’il paroît avoir à la vue simple, me donne aisément la quantité de son agrandissement. »

L’ingénieux docteur Jurin nous donne une autre méthode fort curieuse pour parvenir au même but dans ses dissertations physicomathématiques : la voici. Faites plusieurs tours avec un fil d’argent très-subtil sur une aiguille, ou sur quelqu’autre corps semblable, en sorte que les révolutions du fil se touchent exactement, & ne laissent aucun vuide ; pour en être certain, vous l’examinerez avec un microscope très attentivement. Mesurez ensuite avec un compas très exactement l’intervalle entre les deux révolutions extrèmes du fil d’argent, pour savoir quelle est la longueur de l’aiguille qui est couverte par ce fil ; & appliquant cette ouverture de compas à une échelle de pouces divisée en 10es & en 100es par les diagonales, vous saurez combien elle contient de parties d’un pouce : vous compterez ensuite le nombre des tours du fil d’argent compris dans cette longueur, & vous connoîtrez aisément par la division, l’épaisseur réelle du fil en plusieurs petits morceaux ; si l’objet que vous voulez examiner est opaque, vous jetterez au-dessus de l’objet quelques-uns de ces petits brins, & s’il est transparent, vous les placez au-dessous, ensuite vous comparerez à l’œil les parties de l’objet avec l’épaisseur connue de ces brins de fil.

Par cette méthode le docteur Jurin observa que quatre globules du sang humain couvroient ordinairement la largeur d’un brin, qu’il avoit trouvé d’un pouce, & que par conséquent le diametre de chaque globule étoit partie d’un pouce. Ce qui a été aussi confirmé par les observations de Leeuwenhoeck sur le sang humain, qu’il fit avec un morceau du même fil que lui envoya le docteur Jurin. Voyez les Trans. philosop. n°. 377.

Je passe sous silence d’autres méthodes plus composées ; mais je ne dois pas oublier de remarquer que l’aire visible, le champ de la vue, ou la portion d’un objet vû par le microscope, est en proportion du diametre, & de l’aire de la lentille dont on fait usage, & de sa force ; car si la lentille est extrèmement petite, elle grossit considérablement, & par

conséquent on ne peut distinguer par son moyen qu’une très-petite portion de l’objet ; ainsi l’on doit user de la plus forte lentille pour les plus petits objets, & toujours proportionnellement. Sans donner ici des regles embarrassantes sur le champ des objets vûs par chaque lentille, c’est assez de dire que cette aire differe peu de la grandeur de la lentille dont on se sert, & que si le total d’un objet est beaucoup au-dessus de ce volume, on ne peut pas le bien voir à travers cette lentille.

Après avoir combiné la force des microscopes, & donné les méthodes de connoître la grandeur réelle des objets microscopiques, il nous reste à décrire la maniere de les examiner, de les préparer, & de les appliquer au microscope.

De l’examen des objets microscopiques. Quelqu’objet qu’on ait à examiner, il en faut considérer attentivement la grandeur, le tissu & la nature, pour pouvoir y appliquer les verres convenables, & d’une maniere à les connoître parfaitement. Le premier pas à faire doit être constamment d’examiner cet objet à-travers d’une lentille qui le représente tout entier ; car en observant de quelle maniere les parties sont placées les unes à l’égard des autres, on verra qu’il sera plus aisé d’examiner ensuite chacune en particulier, & d’en juger séparément si l’on en a occasion. Lorsqu’on se sera formé une idée claire du tout, on pourra le diviser autant que l’on voudra ; & plus les parties de cette division seront petites, plus la lentille doit être forte pour les bien voir.

On doit avoir beaucoup d’égard à la transparence ou à l’opacité d’un objet, & de-là dépend le choix des verres dont on doit se servir ; car un objet transparent peut supporter une lentille beaucoup plus forte qu’un objet opaque, puisque la proximité du verre qui grossit beaucoup, doit nécessairement obscurcir un objet opaque & empêcher qu’on ne le voie, à moins qu’on ne se serve du microscope pour les objets opaques. Plusieurs objets cependant deviennent transparens, lorsqu’on les divise en parties extrèmement minces ou petites.

Il faut aussi faire attention à la nature de l’objet, s’il est vivant ou non, solide ou fluide ; si c’est un animal, un végetal, une substance minerale, & prendre garde à toutes les circonstances qui en dépendent, pour l’appliquer de la maniere qui convient le mieux. Si c’est un animal vivant, il faut prendre garde de ne le serrer, heurter, ou décomposer que le moins qu’il sera possible, afin de mieux découvrir sa véritable figure, situation & caractere. Si c’est un fluide & qu’il soit trop épais, il faut le détremper avec l’eau ; s’il est trop coulant, il faut en faire évaporer quelques parties aqueuses. Il y a des substances qui sont plus propres aux observations lorsqu’elles sont seches, & d’autres au contraire lorsqu’elles sont mouillées ; quelques-unes lorsqu’elles sont fraîches, & d’autres lorsqu’on les a gardées quelque tems.

Il faut ensuite avoir grand soin de se procurer la lumiere nécessaire, car de-là dépend la vérité de tous nos examens ; un peu d’expérience fera voir combien les objets paroissent différens dans une position & dans un genre de lumiere, de ce qu’ils sont dans une autre position ; de sorte qu’il est à-propos de les tourner de tous les côtés, & de les faire passer par tous les degrés de lumiere, jusqu’à ce que l’on soit assuré de leur vraie figure ; car, comme dit M. Hooke, il est très-difficile dans un grand nombre d’objets, de distinguer une élévation d’un enfoncement, une ombre d’une tache noire, & la couleur blanche d’avec la simple réflexion. L’œil d’une mouche, par exemple, dans une espece de lumiere, paroît comme un treillis percé d’un grand nombre de trous ; avec les rayons du soleil, il pa-