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Les mœurs du monarque contribuent autant à la liberté que les lois. S’il aime les ames libres, il aura des sujets ; s’il aime les ames basses, il aura des esclaves. Veut-il regner avec éclat, qu’il approche de lui l’honneur, le mérite & la vertu : qu’exorable à la priere, il soit ferme contre les demandes ; & qu’il sache que son peuple jouit de ses refus, & ses courtisans de ses graces. (D. J.)

MONASTER, (Géographie.) ville d’Afrique au royaume de Tunis. Elle est battue des flots de la mer, à 4 lieues de Suze, & à 25 S. E. de Tunis. Long. 28. 40. lat. 36. (D. J.)

MONASTERE, s. m. (Hist. ecclésiastiq.) maison bâtie pour loger des religieux ou religieuses, qui y professent la vie monastique. Les premiers monasteres ont conservé la religion dans des tems misérables : c’étoient des asyles pour la doctrine & la piété, tandis que l’ignorance, le vice & la barbarie inondoient le reste du monde. On y suivoit l’ancienne tradition, soit pour la célébration des divins offices, soit pour la pratique des vertus chrétiennes, dont les jeunes voyoient les exemples vivans dans les anciens. On y gardoit des livres de plusieurs siecles, & on en écrivoit de nouveaux exemplaires : c’étoit une des occupations des religieux ; & nous possédons une quantité d’excellens ouvrages qui eussent été perdus pour nous, sans les bibliotheques des monasteres.

Cependant comme les choses ont entierement changé de face en Europe depuis la renaissance des Lettres & l’établissement de la réformation, le nombre prodigieux de monasteres qui a continué de subsister dans l’Eglise catholique, est devenu à charge au public, oppressif, & procurant manifestement la dépopulation ; il suffit pour s’en convaincre de jetter un coup d’œil sur les pays protestans & catholiques. Le Commerce ranime tout chez les uns, & les monasteres portent par-tout la mort chez les autres.

Quoique le Christianisme dans sa pureté primitive ne soit pas défavorable à la société, on abuse des meilleures institutions ; & il ne seroit peut-être pas aisé de justifier tous les édits des empereurs chrétiens à ce sujet. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on regarde la quantité de moines, & celle des personnes du sexe qui dans les couvens font vœu de virginité, comme une des principales causes de la disette de peuple dans tous les lieux soumis à la domination du souverain pontife. On ne doit pas être surpris que des auteurs protestans tiennent ce langage, lorsque les écrivains catholiques les plus judicieux & les plus attachés à la religion, ne peuvent s’empêcher de former les mêmes plaintes.

Si l’Espagne, autrefois si peuplée, est aujourd’hui deserte, c’est sur-tout à la quantité de monasteres qu’il faut s’en prendre, selon les auteurs espagnols. « Je laisse, dit le célebre dom Diego de Saavedra dans un de ses emblèmes, à ceux dont le devoir est d’examiner si le nombre excessif des ecclésiastiques & des monasteres est proportionné aux facultés de la société des laïques qui doit les entretenir, & s’il n’est pas contraire aux vûes mêmes de l’Eglise. Le conseil de Castille, dans le projet de réforme qui fut présenté à Philippe III. en 1619, supplie le roi d’obtenir du pape qu’il mette des bornes à ce nombre prodigieux d’ordres & de monasteres qui s’accroît tous les jours, & de lui représenter les inconvéniens qui en résultent. Celui qui rejaillit sur l’état monastique même, ajoute le conseil, n’est pas le moindre de tous ; le relâchement s’y introduit, parce que la plûpart y cherchent moins une pieuse retraite, que l’oisiveté & un abri contre la nécessité. Cet abus a les plus funestes conséquences pour l’état & pour le service de votre majesté.

La force & la conservation du royaume consiste dans la multiplicité des hommes utiles & occupés, nous en manquons & par cette cause & par d’autres. Les séculiers cependant s’appauvrissent de plus en plus ; les charges de l’état retombent uniquement sur eux, tandis que les monasteres en sont exempts, ainsi que les biens considérables qu’ils accumulent, & qui ne peuvent plus sortir de leurs mains. Il seroit donc très-convenable que sa sainteté informée de ces désordres, réglât que les vœux ne pourront être faits avant l’âge de vingt ans, & que l’on ne pourra entrer au noviciat avant l’âge de seize ans. Plusieurs sujets ne prendroient plus alors cet état, qui, pour être plus parfait & plus sûr, n’en est pas moins le plus préjudiciable à la société ».

Henri VIII. voulant réformer l’église d’Angleterre, détruisit tous les monasteres, parce que les moines y pratiquant l’hospitalité, une infinité de gens oisifs, gentilshommes & bourgeois, y trouvoient leur subsistance, & passoient leur vie à courir de couvent en couvent. Depuis ce changement, l’esprit de commerce & d’industrie s’est établi dans la Grande-Bretagne, & les revenus de l’état en ont singulierement profité. En général, toute nation qui a converti les monasteres à l’usage public, y a beaucoup gagné, humainement parlant, sans que personne y ait perdu. En effet, on ne fit tort qu’aux passagers que l’on dépouilloit, & ils n’ont point laissé de descendans qui puissent se plaindre. C’est une injustice d’un jour qui a produit un bien pendant des siecles.

Il est vrai, dit M. de Voltaire, qu’il n’est point de royaume catholique où l’on n’ait du moins proposé plusieurs fois de rendre à l’état une partie des citoyens que les monasteres lui enlevent ; mais ceux qui gouvernent sont rarement touchés d’une utilité éloignée, toute sensible qu’elle est, sur-tout quand cet avantage futur est balancé par les difficultés présentes. (D. J.)

Monastere, (Jurisprud.) Un monastere a le titre d’abbaye, prieuré ou autre, selon que le monastere est soumis directement à un abbé ou abbêsse, prieur ou prieure.

Pour qu’une maison religieuse ait le caractere de monastere ou couvent, il faut qu’il y ait un nombre compétent de religieux, que la regle de l’ordre s’y observe, & que la maison ait, ou au moins qu’elle ait eu anciennement, claustrum, arca communis & sigillum, c’est-à-dire des lieux réguliers, une administration commune des biens, & un sceau particulier pour la maison.

Les premiers monasteres s’établirent en Egypte vers l’an 306, sous la conduite de saint Antoine, & ceux-ci furent comme la source des autres qui s’établirent dans la suite en divers lieux.

Le plus ancien monastere de France est celui de Ligugé, près Poitiers, fondé par S. Martin en 360.

Au commencement les monasteres étoient des maisons de laïcs ; les moines ayant été appellés à la cléricature par saint Sirice pape, ne resterent pas moins soumis à l’évêque : c’est pourquoi aucun monastere ne peut être établi sans son consentement ; la regle doit aussi être approuvée par le saint siége.

Pendant plus de six siecles tous les monasteres d’Occident étoient indépendans les uns des autres, & gouvernés par des abbés qui ne répondoient de leur conduite qu’à leur évêque.

En Orient il y avoit des abbés appellés archimandrites qui gouvernoient plusieurs laures, dans lesquelles ils établissoient des supérieurs particuliers.

Dans le ix. siecle il se forma en France une congrégation encore plus étendue, Louis le débonnaire ayant établi saint Benoît d’Aniane abbé général de plusieurs monasteres ; mais après la mort de cet abbé,