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IV. La mort qui doit être uniquement appellée mort de maladie, est celle qui arrive dans les derniers tems, lorsque les symptomes, les accidens, la foiblesse sont parvenus au plus haut période ; dans les maladies aiguës, la mort arrive d’ordinaire dans le tems où la maladie ayant parcouru ses différens périodes, se termineroit par quelque crise salutaire si elle avoit tourné heureusement ; de façon qu’on peut la regarder comme une des terminaisons des crises de la maladie où la nature a eu le dessous. On pourroit juger & raisonner d’une fievre aiguë comme d’une inflammation ; car comme cette affection locale se termine par la résolution, ou par la suppuration, ou enfin par la gangrene, de même les maladies aiguës se guérissent entierement ou dégénerent en maladies chroniques, ou enfin finissent par la mort de tout le corps ; en approfondissant cette matiere on trouveroit beaucoup de rapport dans la façon dont ces différentes terminaisons s’operent dans l’un & l’autre cas. Voyez Inflammation & Maladie aigue. Toutes les maladies aiguës se ressemblent assez par leurs causes, leur marche, leurs effets, & leur terminaison ; elles ne me paroissent différer qu’accidentellement par un siege particulier, par la lesion spéciale, primitive, chronique de quelque viscere, par l’altération plus ou moins forte du sang, causes qui en rendent le danger plus ou moins pressant. L’effet le plus heureux, le plus complet de l’augmentation qu’on observe alors dans le mouvement du sang, du cœur & des arteres, est de rappeller ou de suppléer l’excrétion dont la suppression avoit donné naissance à la maladie, de corriger & de refondre, pour ainsi dire, les humeurs, & enfin de rétablir l’exercice des organes affectés. Lorsque la gravité du mal, le dérangement considérable des visceres, la foiblesse des forces empêchent la réussite de ces efforts, l’altération du sang augmente, il ne se fait aucune coction, ou elle n’est qu’imparfaite, suivie d’aucune excrétion ; le sang n’obéit que difficilement aux coups redoublés du cœur & des vaisseaux, & leurs pulsations deviennent plus fréquentes, à mesure que la lenteur du mouvement du sang augmente, les obstacles opposés à la circulation se multiplient, les forces continuellement dissipées & jamais reparées vont en décroissant ; le mouvement progressif du sang diminue peu-à-peu, & enfin cesse entierement ; les battemens du cœur & des arteres sont suspendus, la gangrene universelle se forme, & la mort est décidée. Tous ces changemens que nous venons d’exposer se manifestent par différens signes qui nous font connoître d’avance le sort funeste de la maladie. Il ne nous est pas possible d’entrer ici dans le détail de tous les signes mortels, qui varient dans les différentes maladies, on pourra les trouver exposés aux articles de seméiotique, comme pouls, respiration, urine, &c. dont on les tire, & aux maladies qu’ils caractérisent : nous n’en rapporterons à présent que quelques généraux qui se rencontrent presque toujours chez les mourans, qui précedent & annoncent une mort prochaine. La physionomie présente un coup-d’œil frappant, surtout pour le médecin expérimenté, dont les yeux sont accoutumés à l’image de la mort ; une pâleur livide défigure le visage ; les yeux sont enfoncés, obscurs, recouverts d’écailles, la pupile est dilatée, les tempes sont affaissées, la peau du front dure, le nez éffilé, les levres tremblantes ont perdu leur coloris ; la respiration est difficile, inégale, stercoreuse ; le pouls est foible, fréquent, petit, intermittent ; quelquefois les pulsations sont assez élevées, mais on sent un vuide dans l’artere, le doigt s’y enfonce sans résistance ; bien-tôt après le pouls fuit de dessous le doigt ; les pulsations semblent remonter ;

elles deviennent insensibles au poignet ; en appliquant la main au pli du coude, lorsque l’artere n’est pas trop enfoncée, on les y apperçoit encore ; c’est un axiome proposé par Hippocrate, & fort accrédité chez le peuple, que la mort ne tarde pas lorsque le pouls est remonté au coude, enfin tous ces battemens deviennent imperceptibles, le nez, les oreilles & les extrémités sont froides, on n’apperçoit plus qu’un léger sautillement au côté gauche de la poitrine, avec un peu de chaleur, qui cessent enfin tout-à-fait, & le malade meurt dans des efforts inutiles pour respirer. Il n’est pas rare de trouver dans les cadavres des engorgemens inflammatoires, des dépôts, des gangrenes dans les visceres, qui ont souvent accéléré & déterminé la mort ; ces desordres sont plûtôt l’effet que la cause de la maladie ; il est cependant assez ordinaire aux médecins qui font ouvrir les cadavres, d’appuyer sur ces accidens secondaires, souvent effets de l’art, l’impossibilité de la guérison, ils montrent à des assistans peu instruits tous ces desordres comme des preuves de la gravité de la maladie, & justifient à leurs yeux leur mauvais sucès. Il y a quelquefois des maladies pestilentielles, des fievres malignes qui se terminent au trois ou quatrieme jour par la mort ; le plus souvent on trouve des gangrenes internes, causes suffisantes de mort. Ces gangrenes paroissent être une source d’exhalaisons mephitiques, qui se portant sur les nerfs, occasionnent un relâchement mortel ; ces maladies si promptes semblent aussi attaquer spécialement les nerfs, & empêcher principalement leur action ; le symptôme principal est une foiblesse extreme, un affaissement singulier ; on peut rapporter à la mort qui termine les maladies aiguës, celle qui est déterminée par une abstinence trop longue, qui suit l’inanition ; il est bien difficile de décider en quoi & comment les alimens donnent, entretiennent & rétablissent les forces ; leur effet est certain, quoique la raison en soit inconnue : dès qu’on cesse de prendre des alimens, ou qu’ils ne parviennent point dans le sang, ou enfin quand la nutrition n’a pas lieu, les forces diminuent, les mouvemens ne s’exécutent qu’avec peine & lassitude, les contractions du cœur s’affoiblissent, le mouvement intestin du sang n’étant pas retenu par l’abord continuel d’un nouveau chyle, se développe, les différentes humeurs s’alterent, la salive acquiert une âcreté très-marquée, la machine s’affaisse insensiblement, les défaillances sont fréquentes, la foiblesse excessive, enfin le malade reste enseveli dans une syncope éternelle.

Dans les maladies chroniques la mort vient plus lentement que dans les aiguës, elle se prépare de loin, & d’autant plus sûrement ; elle s’opere à-peu-près de même ; quand la maladie chronique est prête à se terminer par la santé ou par la mort, elle devient aiguë. Toute maladie chronique qui est établie, fondée sur un vice particulier, une obstruction de quelques visceres, sur-tout du bas-ventre, qui donne lieu à l’état cachectique qui les accompagne toujours, à des jaunisses, des hydropisies, &c. qui empêche toujours la nutrition, la parfaite élaboration du sang, de façon qu’il est rapide, sans ton, sans force, & sans activité ; le mouvement intestin languit, les nerfs sont relâchés, les vaisseaux affoiblis, peu sensibles, la circulation est dérangée ; les forces, produit de l’action réciproque de tous les visceres manquent, diminuent de jour en jour, le pouls est concentré, muet, & conservant toujours un caractere d’irritation ; lorsque la maladie tend à sa fin il devient inégal, intermittent, foible, & se perd enfin tout-à-fait ; il ne sera pas difficile de comprendre pourquoi la lesion d’un viscere particulier entraîne la cessation des mouvemens vitaux, si l’on