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des marques incontestables ; le cœur lui-même après qu’il a cessé de se mouvoir peut, étant irrité, recommencer ses battemens. C’est dans la continuation de cette propriété que je fais consister la mort imparfaite ; tant qu’elle est présente, la vie peut revenir, si quelque cause constante peut la remettre en jeu ; il faut pour cela que tous les organes soient dans leur entier, que le mouvement du sang renouvellé ne trouve plus d’obstacles qui l’arrêtent & le suspendent de rechef ; que l’action des causes qui ont excité la mort cesse ; c’est ce qui arrive dans tous les cas où elle doit être attribuée au spasme du cœur, dès que la mort a suspendu les mouvemens, un relâchement considérable succede à cet état de constriction, la moindre cause peut alors rendre la vie & la santé ; le sang lui-même, altéré par le développement du mouvement intestin, peut servir d’aiguillon pour résusciter les contractions du cœur.

Lorsque le sang arrêté quelque-tems, laissé à lui-même, sans mouvement progressif, sans sécrétion, sans être renouvellé par l’abord du chyle ; son mouvement intestin se développé, devient plus actif, & tend enfin à une putréfaction totale, qui détruit le tissu de tous les visceres ; rompt l’union, la cohésion des fibres, bannit toute irritabilité, & met le corps dans l’état apparent de mort absolue : il est bien des cas où même avant que la putréfaction se soit manifestée, les organes ont entierement perdu leur sensibilité, ils ne peuvent recommencer leurs mouvemens quelque secours qu’on emploie. On peut observer cela surtout après les maladies aiguës, où le sang altéré est dans un commencement de putréfaction, où quelques visceres sont gangrenés ; & il est à propos de remarquer que dans ces circonstances, la mort absolue suit de près la mort imparfaite, & que l’on apperçoit bientôt des signes de pourriture. Il en est de même lorsqu’une blessure a emporté, coupé, déchiré les instrumens principaux de la vie ; ou enfin lorsqu’on a fait dissiper toutes les humeurs, qu’on a desséché ou embaumé le corps.

Diagnostic. Il n’est pas possible de se méprendre aux signes qui caractérisent la mort ; les changemens qui différentient l’homme vivant d’avec le cadavre sont très-frappans & très-sensibles ; on peut assurer la mort, dès qu’on n’apperçoit plus aucune marque de vie, que la chaleur est éteinte, les membres roides, inflexibles, que le pouls manque absolument, & que la respiration est tout-à-fait suspendue : pour être plus certain de la cessation de la circulation, il faut porter successivement la main au poignet, au pli du coude, au col, aux tempes, à l’aine & au cœur, & plonger les doigts profondement pour bien saisir les arteres qui sont dans ces différentes parties ; & pour trouver plus facilement les battemens du cœur s’ils persistoient encore, il faut faire pancher le corps sur un des côtés ; on doit prendre garde, pendant ces tentatives, de ne pas prendre le battement des arteres qu’on a au bout de ses propres doigts, & qui devient sensible par la pression, pour le pouls du corps qu’on examine, & de ne pas juger vivant celui qui est réellement mort ; on constate l’immobilité du thorax, & le défaut de respiration en présentant à la bouche un fil de coton fort délié, ou la flamme d’une bougie, ou la glace d’un miroir bien polie ; il est certain que la moindre expiration feroit vaciller le fil & la flamme de la bougie & terniroit la glace ; on a aussi coutume de mettre sur le creux de l’estomac un verre plein d’eau, qui ne pourroit manquer de verser s’il restoit encore quelque vestige de mouvement ; ces épreuves suffisent pour décider la mort imparfaite ; la mort absolue se manifeste par l’insensibilité constante à toutes les incisions, à l’application du feu ou des ventouses, des vésicatoires, par le peu de succès qu’on retire

de l’administration des secours appropriés. On doit cependant être très-circonspect à décider la mort absolue, parce que un peu plus de constance peut-être vaincroit les obstacles. Nous avons vu que dans pareil cas, vingt-cinq ventouses ayant été appliquées inutilement, la vingt-sixieme rappella la vie, & dans ces circonstances il n’y a aucune comparaison entre le succès & l’erreur ; la mort absolue n’est plus douteuse quand la putréfaction commence à se manifester.

Prognostic. L’idée de prognostic emportant nécessairement avec soi l’attente d’un événement futur pourra paroître, lorsque la mort est arrivée, singuliere & même ridicule à ceux qui pensent que la mort détruit entierement toute esperance ; confirme les dangers, & réalise les craintes ; mais qu’on fasse attention qu’il est un premier degré de mort, pendant lequel les résurrections sont démontrées possibles, & par un raisonnement fort simple, & par des observations bien constatées. Il s’agit de déterminer les cas où l’on peut, avec quelque fondement, esperer que la mort imparfaite pourra se dissiper, & ceux au contraire où la mort absolue paroît inévitable. Je dis plus, il est des circonstances où l’on peut assurer que la mort est avantageuse, qu’elle produit un bien réel dans la machine, pourvu qu’on puisse après cela la dissiper ; & pour ôter à cette assertion tout air de paradoxe, il me suffira de faire observer que souvent les maladies dépendent d’un état habituel de spasme dans quelque partie, qu’un engorgement inflammatoire est assez ordinairement entretenu & augmenté par la constriction & le resserrement des vaisseaux ; la mort détruisant efficacement tout spasme, lui faisant succéder le relâchement le plus complet, doit être censée avantageuse dans tous les cas d’affection spasmodique ; d’ailleurs la révolution singuliere, le changement prodigieux qui se fait alors dans la machine peut être utile à quelques personnes habituellement malades ; ce que j’avance est confirmé par plusieurs observations, qui prouvent que des personnes attaquées de maladies très-serieuses dès qu’elles ont eu resté quelque-tems mortes, ont été bientôt remises après leur résurrection, & ont joui pendant plusieurs années d’une santé florissante. Voyez le traité de l’incertitude des signes de la mort, §. 4. 5. & 6. On a vu aussi quelquefois dans des hémorrhagies considérables la cessation de tout mouvement devenir salutaire. Les jugemens qu’on est obligé de porter sur les suites d’une mort imparfaite sont toujours très-fâcheux & extrémement équivoques ; on ne peut donner que des espérances fort légeres, qu’on voit même rarement se vérifier. Les morts où ces espérances sont les mieux fondées, sont celles qui arrivent sans lésion, sans destruction d’aucun viscere, qui dépendent de quelqu’affection nerveuse, spasmodique, qui sont excitées par des passions d’ame, par la vapeur des mines, du charbon, du vin fermentant, des mouffetes, par l’immersion dans l’eau ; lorsqu’il n’y a dans les pendus que la respiration d’interceptée, ou même une accumulation de sang dans le cerveau sans luxation des vertebres, on peut se flatter de les rappeller à la vie ; il en est de même de la mort qui vient dans le cours d’une maladie sans avoir été prévenue & annoncée par les signes mortels ; les morts volontaires ou extatiques n’ont, pour l’ordinaire, aucune suite facheuse ; elles se dissipent d’elles-mêmes. S’il en faut croire les historiens, il y a des personnes qui en font métier, sans en éprouver aucun inconvénient ; il est cependant à craindre que le mouvement du sang, souvent suspendu, ne donne naissance à des concrétions polypeuses dans le cœur & le gros vaisseau. La mort naturelle qui termine les vieillesses décrépites ne peut pas se