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rendoient à la Religion, même dans les cas où leur travail étoit heureux, ne pouvoit jamais compenser le danger du mauvais exemple qu’ils donnoient. Si l’on en étoit plus disposé à croire le petit nombre de vérités sur lesquelles l’histoire sainte se concilioit avec les phénomenes naturels, ne prenoit-on pas une pente toute contraire dans le grand nombre de cas où l’expérience & la révélation sembloient parler diversement ? C’est-là en effet tout le fruit qui résulte des ouvrages de Severlin, d’Alstedius, de Glassius, de Zusold, de Valois, de Bochart, de Maius, d’Ursin, de Scheuchzer, de Grabovius, & d’une infinité d’autres qui se sont efforcés de trouver dans les saintes Ecritures tout ce que les Philosophes ont écrit de la Logique, de la Morale, de la Métaphysique, de la Physique, de la Chimie, de l’Histoire Naturelle, de la Politique. Il me semble qu’ils auroient dû imiter les Philosophes dans leur précaution. Ceux-ci n’ont point publié de systèmes, sans prouver d’abord qu’ils n’avoient rien de contraire à la Religion : ceux-là n’auroient jamais dû rapporter les systèmes des Philosophes à l’Ecriture-sainte, sans s’être bien assurés auparavant qu’ils ne contenoient rien de contraire à la vérité. Négliger ce préalable, n’étoit-ce pas s’exposer à faire dire beaucoup de sottises à l’esprit saint ? Les réveries de Robert Fulde n’honoroient-elles pas beaucoup Moïse ? Et quelle satyre plus indécente & plus cruelle pourroit on faire de cet auteur sublime, que d’établir une concorde exacte entre ses idées & celles de plusieurs physiciens que je pourrois citer ?

Laissons donc là les ouvrages de Bigot, de Fromond, de Casmann, de Pfesfer, de Bayer, d’Aslach, de Danée, de Dickenson, & lisons Moïse, sans chercher dans sa Genèse des découvertes qui n’étoient pas de son tems, & dont il ne se proposa jamais de nous instruire.

Alstedius, Glassius & Zuzold ont cherché à concilier la Logique des Philosophes avec celle des Théologiens ; belle entreprise !

Valois, Bochard, Maius, Ursin, Scheuchzer ont vû dans Moïse tout ce que nos philosophes, nos naturalistes, nos mathématiciens même ont découvert.

Buddée vous donnera le catalogue de ceux qui ont démontré que la dialectique & la métaphysique d’Aristote est la même que celle de Jesus-Christ.

Parcourez Rudiger, Wucherer & Wolf, & vous les verrez se tourmentant pour attribuer aux auteurs révélés tout ce que nos philosophes ont écrit de la nature, & tout ce qu’ils ont révé de ses causes & de sa fin.

Je ne sais ce que Bigot a prétendu, mais Fromond veut absolument que la terre soit immobile. On a de cet auteur deux traités sur l’ame & sur les météores, moitié philosophiques, moitié chrétiens.

Casmann a publié une biographie naturelle, morale & économique, d’où il déduit une morale & une politique théosophique : celui ci pourtant n’asservissoit pas tellement la Philosophie à la révélation, ni la révélation à la Philosophie, qu’il ne prononçât très-nettement qu’il ne valût mieux s’en tenir aux saintes Ecritures sur les préceptes de la vie, qu’à Aristote & aux philosophes anciens ; & à Aristote & aux philosophes anciens sur les choses naturelles, qu’à la Bible & à l’ancien Testament. Cependant il défend l’ame du monde d’Aristote contre Platon ; & il promet une grammaire, une rhétorique, une logique, une arithmétique, une géométrie, une optique & une musique chrétienne. Voilà les extravagances où l’on est conduit par un zele aveugle de tout christianiser.

Alstedius, malgré son savoir, prétendit aussi qu’il falloit conformer la Philosophie aux saintes Ecritu-

res, & il en fit un essai sur la Jurisprudence & la Medecine, où l’on a bien de la peine à retrouver le jugement

de cet auteur.

Bayer encouragé par les tentatives du chancelier Bacon, publia l’ouvrage intitulé, le fil du labyrinthe ; ce ne sont pas des spéculations frivoles ; plusieurs auteurs ont suivi le fil de Bayer, & sont arrivés à des découvertes importantes sur la nature, mais cet homme n’est pas exempt de la folie de son tems.

Aslach auroit un nom bien mérité parmi les Philosophes, si le même défaut n’eût défiguré ses écrits ; il avoit étudié, il avoit vû, il avoit voyagé ; il savoit, mais il étoit philosophe & théologien ; & il n’a jamais pu se résoudre à séparer ces deux caracteres. Sa religion est philosophique, & sa physique est chrétienne.

Il faut porter le même jugement de Lambert Danée.

Dickenson n’a pas été plus sage. Si vous en croyez celui-ci, Moïse a donné en six pages tout ce qu’on a dit & tout ce qu’on dira de bonne cosmologie.

Il y a deux mondes, le supérieur immatériel, l’inférieur ou le matériel. Dieu, les anges & les esprits bienheureux, habitent le premier ; le second est le nôtre, dont il explique la formation par le concours des atomes que le Tout-puissant a mus & dirigés. Adam a tout sû. Les connoissances du premier homme ont passé à Abraham, & d’Abraham à Moile. Les théogonies des anciens ne sont que la vraie cosmogonie défigurée par des symboles. Dieu créa des particules de toute espece. Dans le commencement elles étoient immobiles : de petits vuides les séparoient. Dieu leur communiqua deux mouvemens, l’un doux & oblique, l’autre circulaire : celui-ci fut commun à la masse entiere, celui-là propre à chaque molécule. De-là des collisions, des séparations, des unions, des combinaisons ; le feu, l’air, l’eau, la terre, le ciel, la lune, le soleil, les astres, & tout cela comme Moise l’a entendu & l’a écrit. Il y a des eaux supérieures, des eaux inférieures, un jour sans soleil, de la lumiere sans corps lumineux ; des germes, des plantes, des ames, les unes matérielles & qui sentent ; des ames spirituelles ou immatérielles ; des forces plastiques, des sexes, des générations ; que sais-je encore ? Dickinson appelle à son secours toutes les vérités & toutes les folies anciennes & modernes ; & quand il en a fait une fable qui satisfait aux premiers chapitres de la Genèse, il croit avoir expliqué la nature & concilié Moïse avec Aristote, Epicure, Démocrite, & les Philosophes.

Thomas Burnet parut sur la scène après Dickinson. Il naquit de bonne maison en 1632, dans le village de Richemond. Il continua dans l’université de Cambridge les études qu’il avoit commencées au sein de sa famille. Il eut pour maîtres Cudworth, Widdringhton, Sharp & d’autres qui professoient le platonisme qu’ils avoient ressuscité. Il s’instruisit profondement de la philosophie des anciens. Ses défauts & ses qualités n’échapperent point à un homme qui ne s’en laissoit pas imposer, & qui avoit un jugement à lui. Platon lui plut comme moraliste, & lui déplut comme cosmologue. Personne n’exerça mieux la liberté ecclésiastique ; il ne s’en départit pas même dans l’examen de la religion chrétienne. Après avoir épuisé la lecture des auteurs de réputation, il voyagea. Il vit la France, l’Italie & l’Allemagne. Chemin faisant, il recueilloit sur la terre nouvelle tout ce qui pouvoit le conduire à la connoissance de l’ancienne. De retour, il publia la premiere partie de la Théorie sacrée de la terre, ouvrage où il se propose de concilier Moïse avec les phénomenes. Jamais tant de recherches, tant d’érudition, tant de connoissances, d’esprit & de talens ne furent plus mal employés. Il obtint la faveur de Charles II.