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quelques-uns qui ne le sont encore que par les mathématiciens, mais qui passeront sans doute dans l’usage général. Multiple est aussi un adjectif multiplicatif, mais il n’est pas numéral, parce qu’il n’indique pas avec la précision numérique. L’adjectif simple, considéré comme exprimant une relation à l’unité, & conséquemment comme l’opposé de multiple, est un adjectif multiplicatif par essence, & numéral par usage : son correspondant en allemand est numéral par l’étymologie ; einfach on einfaeltig, de ein (un), comme si nous disions uniple.

Les adjectifs partitifs sont ceux qui déterminent la quantité par une idée de partition avec la précision numérique. Nous n’avons en françois aucun adjectif de cette espece, qui soit distingué des ordinaux par le matériel ; mais ils en different par le sens qu’il est toujours aisé de reconnoître : c’étoit la même chose en grec & en latin, les ordinaux y devenoient partitifs selon l’occurrence : la douzieme partie (pars duodecima) ἡ μερὶς δυοκαιδεκάτη.

2. Nous n’avons que trois sortes de noms numéraux : savoir des collectifs, comme couple, dixaine, douzaine, quinzaine, vingtaine, trentaine, quarantaine, cinquantaine, soixantaine, centaine, millier, million ; des multiplicatifs, qui pour le matériel ne different pas de l’adjectif masculin correspondant, si ce n’est qu’ils prennent l’article, comme le double, le triple, le quadruple, &c. & des partitifs, comme la moitié, le tiers, le quart, le cinquieme, le sixieme, le septieme, & ainsi des autres qui ne different de l’adjectif ordinal que par l’immutabilité du genre masculin & par l’accompagnement de l’article. Tous ces noms numéraux sont abstraits.

3. Nous n’avons en françois qu’une sorte de verbes numéraux, & ils sont multiplicatifs, comme doubler, tripler, quadrupler, & les autres formés immédiatement des adjectifs multiplicatifs usités. Biner peut encore être compris dans les verbes multiplicatifs, puisqu’il marque une seconde action, ou le double d’un acte ; biner une vigne, c’est lui donner un second labour ou doubler l’acte de labourer ; biner, parlant d’un curé, c’est dire un jour deux messes paroissiales en deux églises desservies par le même curé.

4. Notre langue reconnoît le système entier des adverbes ordinaux, qui sont premierement, secondement ou deuxiemement, troisiemement, quatriemement, &c. Mais je n’y connois que deux adverbes multiplicatifs, savoir doublement & triplement ; on remplace les autres par la préposition à avec le nom abstrait multiplicatif ; au quadruple, au centuple, & l’on dit même au double & au triple. Nuls adverbes partitifs en françois, quoiqu’il y en eût plusieurs en latin ; bifariam (en deux parties), trifariam (en trois parties), quadrifariam (en quatre parties), multifariam ou plurifariam (en plusieurs parties).

Les Latins avoient aussi un système d’adverbes numéraux que l’on peut appeller itératifs, parce qu’ils marquent répétition d’évenement ; semel, bis, ter, quater, quinquies, sexies, septies, octies, novies, decies, vicies ou vigesies, trecies ou trigesies ; &c. L’adverbe général itératif qui n’est pas numéral, c’est pluries ou multoties, ou sæpe.

On auroit pû étendre ou restreindre davantage le système numéral des langues ; chacune a été déterminée par son génie propre, qui n’est que le résultat d’une infinité de circonstances dont les combinaisons peuvent varier sans fin.

M. l’abbé Girard a jugé à propos d’imaginer une partie d’oraison distincte qu’il appelle des nombres : il en admet de deux especes, les uns qu’il appelle calculatifs, & les autres qu’il nomme collectifs ; ce sont les mots que je viens de désigner comme adjectifs & comme noms collectifs. Il se fait, à la fin de son disc. X. une objection sur la nature de ses nombres

collectifs, qui sont des véritables noms, ou pour parler son langage, de véritables substantifs : il avoue que la réflexion ne lui en a pas échappé, & qu’il a même été tenté de les placer dans la cathégorie des noms. Mais « j’ai vu, dit-il, que leur essence consistoit également dans l’expression de la quotité : que d’ailleurs leur emploi, quoiqu’un peu analogique à la dénomination, portoit néanmoins un caractere différent de celui des substantifs ; ne demandant point d’articles par eux-mêmes, & ne se laissant point qualifier par les adjectifs nominaux, non plus que par les verbaux, & rarement par les autres ».

Il est vrai que l’essence des noms numéraux collectifs consiste dans l’expression de la quotité ; mais la quotité est une nature abstraite dont le nom même quotité est le nom appellatif ; couple, douzaine, vingtaine sont des noms propres ou individuels : & c’est ainsi que la nature abstraite de vertu est exprimée par le nom appellatif vertu, & par les noms propres prudence, courage, chasteté, &c.

Pour ce qui est des prétendus caracteres propres des mots que je regarde comme des noms numéraux collectifs, l’abbé Girard me paroît encore dans l’erreur. Ces noms prennent l’article comme les autres, & se laissent qualifier par toutes les especes d’adjectifs que le grammairien a distinguées : par ceux qu’il appelle nominaux ; une belle douzaine, une bonne douzaine, une douzaine semblable : par ceux qu’il nomme verbaux ; une douzaine choisie, une douzaine préferée, une douzaine rebutée : par les numéraux ; la premiere douzaine, la cinquieme douzaine, les trois douzaines : par les pronominaux ; cette douzaine, ma douzaine, quelques douzaines, chaque douzaine, &c. Si l’on allegue que ce n’est pas par eux-mêmes que ces mots requierent l’article ; c’est la même chose des noms appellatifs, puisqu’en effet on les emploie sans l’article quand on ne veut ajouter aucune idée accessoire à leur signification primitive ; parler en pere, un habit d’homme, un palais de roi, &c.

J’ajoute que si l’on a cru devoir réunir dans la même cathégorie, des mots aussi peu semblables que deux & couple, dix & dixaine, cent & centaine, par la seule raison qu’ils expriment également la quotité ; il falloit aussi y joindre, double, doubler, secondement ; bis, & bifariam, triple, triples, troisiemement, ter, & trifariam, &c. si au contraire on a trouvé quelque inconséquence dans cet assortiment en effet trop bizarre, on a dû trouver le même défaut dans le système que je viens d’exposer & de combattre. (B. E. R. M.)

Nombre, en Eloquence, en Poésie, en Musique, se dit d’une certaine mesure, proportion ou cadence, qui rend un vers, une période, un chant agréable à l’oreille. Voyez Vers, Mesure, Cadence.

Il y a quelque différence entre le nombre de la Poésie & celui de la Prose.

Le nombre de la Poésie consiste dans une harmonie plus marquée, qui dépend de l’arrangement & de la quantité des syllabes dans certaines langues, comme la grecque & la latine, qui font qu’un poëme affecte l’oreille par une certaine musique, & paroît propre à être chanté ; en effet, la plûpart des poëmes des anciens étoient accompagnés du chant, de la danse, & du son des instrumens. C’est de ce nombre qu’il s’agit, lorsque Virgile dans la quatrieme églogue, fait dire à un de ses bergers,

Numeros memini, si verba tenerem.

Et dans la sixieme,

Tum vero in numerum, faunosque ferasque videres
Ludere.

Dans les langues vivantes, le nombre poétique dépend du nombre déterminé des syllabes, selon la