Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 11.djvu/317

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alimens, le sommeil, l’exercice, les passions, & les excrétions, en un mot, les choses non naturelles, forme l’Hygiene, & sert de fondement & de principe aux regles diététiques. L’observation des changemens que produisent les remedes sur le corps malade & dans la marche des maladies, a établi la Thérapeutique, ou la science des indications, d’où est née la matiere médicale. Telles sont les différentes sources d’observations qui se présentent au médecin, & dans lesquelles il peut & doit puiser la vraie Médecine : nous allons les suivre chacune en particulier, mais en peu de mots.

1°. Observations anatomiques cadavériques. Ces observations peuvent se faire sur des cadavres d’hommes morts de mort violente dans la simple vûe d’acquérir des connoissances anatomiques, où elles peuvent avoir lieu sur ceux qui sont morts de maladie, & elles ont alors pour but de découvrir les causes de la mort & les dérangemens intérieurs qui y ont donné lieu : la premiere espece d’observation, que nous appellerons simplement anatomique, peut aussi se faire sur les animaux, leur structure interne est, à peu de chose près, semblable à celle de l’homme, & c’est par la dissection des animaux que l’anatomie a commencé dans un tems où l’ignorance, la superstition & le préjugé faisoient regarder comme une souillure de toucher aux cadavres humains, & empêchoient à plus forte raison d’y porter le conteau anatomique pour en connoître l’intérieur ; & même dans notre siecle que nous croyons devoir appeller modestement le plus savant, le plus éclairé & le plus exempt de préjugés ; si l’on ne donne pas dans le ridicule outré de se croire souillé par la dissection d’un cadavre ; on se fait une peine d’en accorder au zele louable & aux recherches avantageuses des Anatomistes, & dans quelques endroits où l’on accorde (pour de l’argent) les cadavres des hommes, on refuse ceux des femmes, comme si l’un étoit plus sacré que l’autre pour le médecin, & qu’il ne lui fût pas aussi utile & nécessaire de connoître la structure des femmes que celle des hommes. Hérophile & Erasistrate passent pour être les premiers qui ont osé secouer le préjugé en dissequant non-seulement des cadavres humains, mais des hommes vivans criminels, que les princes zélés pour le bien public & philosophes leur faisoient remettre. Dès que le premier pas a été fait, les médecins qui les ont suivi se sont empressés de marcher sur leurs traces, & les rois éclairés ont favorisé leurs tentatives par les permissions les plus authentiques & les récompenses les plus honorables ; de là les progrès rapides de l’Anatomie, les découvertes fréquentes qui se sont faites successivement. Voyez-en l’histoire à l’article Anatomie. voyez aussi au même endroit les recueils d’observations anatomiques dans les ouvrages qui y sont cités, auxquels on peut ajouter les mémoires des différentes académies, & sur-tout de l’académie royale des Sciences, où l’on trouve dans chaque volume des observations singulieres, curieuses & intéressantes, ces mémoires sont devenus des monumens qui attestent & classent les découvertes qui se font chaque jour. Comme cette science, qui ne demande que de la dextérité dans la main & une bonne vûe, & qui est par conséquent du ressort immédiat & exclusif de l’observation, a été bientôt portée à une certaine perfection, il reste à présent peu d’objets d’observations, peu de chose à découvrir ; aussi n’ajoute-t-on, à présent que la science est faite, que quelques observations de monstres qui ne seront pas encore épuisées, parce que les écarts de la nature peuvent varier à l’infini, que quelques divisions futiles, quelques détails minutieux qui ne sont d’aucune utilité ; on ne peut même dissimuler que les avantages de l’Anatomie ne sont pas aussi grands qu’on

devoit se le promettre. Il paroissoit tout naturel de croire que le corps humain étant une machine, plus on en connoîtroit les ressorts, plus il seroit facile de découvrir les causes, les lois, le méchanisme de leurs mouvemens, plus aussi on seroit éclairé sur la maniere d’agir & sur les effets des causes qui dérangeoient ces ressorts & troubloient ces mouvemens, & qu’enfin ces connoissances devoient répandre un grand jour sur l’art de guérir, c’est-à dire de corriger des altérations si bien connues ; mais l’évenement n’a pas justifié un raisonnement en apparence si juste & si conséquent ; toutes les observations & les découvertes anatomiques ne paroissent avoir servi jusqu’ici qu’à exercer la pénétration, la dextérité & la patience des hommes, & à enrichir la Médecine d’une science très-curieuse, très satisfaisante, & un des plus forts argumens, selon Hoffman, & tous les médecins & philosophes, de l’existence & de l’opération de Dieu. Cette espece d’observation auroit sans doute été plus utile, si l’on avoit examiné, comme Hérophile, la structure du corps dans l’homme vivant ; l’Anatomie raisonnée ou Physiologique auroit été principalement éclairée sur l’usage & la nécessité des différentes parties. On ne doit point regarder l’exécution de ce projet comme une action barbare & inhumaine ; il y a tant de gens qui ont mérité par leurs crimes de finir leur vie sur un échafaud dans les tourmens les plus cruels, auquel il seroit au-moins très-indifférent d’être mis entre les mains d’un anatomiste, qui ne regarderoit pas l’emploi de bourreau qu’il rempliroit alors comme déshonorant, mais qui ne le verroit que comme un moyen d’acquérir des lumieres, & d’être utile au public, le crime fait la honte & non pas l’échafaud. Le criminel pourroit encore avoir l’espérance de survivre aux observations qu’on auroit fait sur lui, & on pourroit proportionner le danger & la longueur des épreuves à la gravité des crimes : mais quand même une mort assûrée attendroit ce coupable, ou même un autre, soumis au couteau anatomique, il est des cas où il est expédient qu’un homme meure pour le public, & l’humanité bien entendue, peut adopter cette maxime judicieuse d’un auteur moderne, qu’un homme vis-à vis de tous les autres n’est rien, & qu’un criminel est moins que rien.

Le seul usage qu’on pût tirer des observations anatomiques, ou de l’Anatomie telle qu’on la cultive aujourd’hui, ce seroit sans doute d’éclairer pour les observations cadavériques, j’appelle ainsi celles qui se font pour découvrir les causes de mort sur des sujets que quelque maladie a mis au tombeau. Nous sommes encore forcés d’avouer ici qu’on n’a pas retiré beaucoup de lumiere sur la connoissance des causes de cette espece d’observation ; la Médecine clinique n’étoit pas moins avancée lorsqu’il ne se faisoit point d’ouverture de cadavres du tems d’Hippocrate qu’elle l’est aujourd’hui ; est-ce un vice attaché à la nature de cette observation, ou un défaut dépendant de la maniere dont on la fait ? Si l’on y fait attention, on verra que ces deux causes y concourent, 1° il est bien certain que les choses ne sont pas dans le même état dans un homme mort de maladie, que dans un homme mort subitement, ou encore vivant, les gangrenes qu’on trouve à la suite des maladies aiguës inflammatoires sont une suite ordinaire de la cessation de la vie dans ces parties, on en trouve quelquefois des traces dans des parties où il n’y a point eu d’inflammation ; les obstructions, suppurations que présentent les cadavres de ceux qui sont morts de maladie chronique, n’ont souvent eu lieu qu’à la fin de la maladie lorsqu’elle tendoit à sa fin, & qu’elle étoit incurable ; quelles lumieres de pareilles observations peuvent-elles répandre sur la connoissance & la guérison de ces