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à peu de chose cet exercice des yeux. N’est-il pas hors de doute qu’aussitôt que l’instrument entre dans les chairs, il se dérobe à la vûe, & qu’il n’y a plus que celui qui le conduit qui sache précisement ce qu’il fait. Le spectateur qui ne seroit pas instruit par la théorie de tout ce qu’il y a à faire pour exécuter l’opération ; qui n’en connoîtroit pas les différens tems ; qui ne sauroit pas de quelle importance il est de ménager certaines parties ; qui n’auroit aucune notion sur les raisons qu’il y a d’en couper d’autres, que leur usage sembleroit devoir faire respecter, un tel spectateur est là comme un automate ; & celui qui est instruit des préceptes qui regardent la méthode d’opérer, peut seulement imaginer à-peu-près ce que fait l’opérateur dans les différens instans de l’opération. Voilà à quoi se réduit toute l’instruction que peut lui procurer la fonction de spectateur. Et comment reduiroit-il en acte, & imiteroit-il ce qu’il a vu, puisqu’il ne peut par cet exercice des yeux, acquérir les connoissances nécessaires ?

La Chirurgie, considerée même comme l’art d’opérer, ne peut être un art d’imitation, & où il ne s’agisse que d’avoir de l’adresse pour bien faire. On n’apprend essentiellement la méthode d’opérer que par la lecture refléchie des auteurs qui ont le mieux traité cette matiere. Il faut sans contredit, voir pratiquer les maîtres de l’art ; mais on ne les voit utilement, que lorsque l’esprit est muni des connoissances requises : les yeux ne voient rien, c’est l’esprit qui voit par les yeux. Il faut de même que ce soit l’esprit qui donne de l’adresse & de l’intelligence aux mains d’un chirurgien. Il y a quelques opérations dont on doit faire l’essai sur les cadavres ; mais l’exercice réiteré de ces essais ne supplée point à l’étude des principes : c’est ce qui fait que des gens naturellement très-adroits, font très-mal les opérations de Chirurgie ; & que d’autres gens qui ne se piqueroient pas de plus d’adresse que d’autres dans les choses ordinaires de la vie, font avec une habileté merveilleuse les opérations de la Chirurgie. Il n’y a que l’intelligence & le savoir qui puissent conduire le chirurgien dans la plûpart des opérations. Voyez ce que nous avons dit à ce sujet au mot Chirurgie.

Lanfranc de Milan, qui professoit la Chirurgie à Paris, sous le regne de Philippe-le-Bel, en 1295, parle des qualités naturelles, morales & scientifiques d’un chirurgien. Il n’en exige pas peu, & il les considere toutes relativement aux opérations ; il est court sur les qualités corporelles, il ne demande que la fermeté de la main & sa bonne conformation, avec des doigts grêles & longs. Mais du côté des connoissances de l’esprit, il requiert pour base de la Chirurgie, toute la théorie de la Médecine, prise dans sa plus grande étendue. En parlant de la nécessité de distinguer les tempéramens & les diverses complexions, il suppose deux hommes de même âge, qui au même lieu & à la même heure, reçoivent un coup d’épée au-travers du bras ; l’un est d’un tempérament chaud, & l’autre d’une complexion froide. Suivant l’opinion vulgaire, dit Lanfranc, la Chirurgie doit donner les mêmes secours à ces deux hommes. Mais la science des complexions apprendra à les traiter diversement ; elle nous enseigne ce que l’on doit en craindre dans la cure de l’un & de l’autre. L’un sera sujet à la fievre, au gonflement de la partie, à l’inflammation & aux abscès. Il faudra donc avoir égard à ce qui s’est passé ; on s’informera s’il a perdu beaucoup de sang par sa plaie, afin de le faire saigner, s’il est besoin, à proportion de son âge & de ses forces ; on le mettra à un régime très-leger : & l’autre ne sera pas saigné ; on regardera son sang comme le trésor de la vie ; on lui permettra des alimens pour le nourrir, & peut-être du vin pour soutenir ses forces. Ce n’est pas seulement le tempéra-

ment général du corps qu’il faut observer dans le

traitement des maladies chirurgicales, la complexion particuliere des parties fournit au chirurgien des indications différentes. Le remede qui a à un très-haut degré la faculté astringente ou dessicative sur des chairs fermes & élastiques, ne produira pas ces effets au degré le plus foible sur des chairs molles & relâchées. Le même médicament qui résiste puissamment à la pourriture dans un cas, l’excite dans d’autres ; c’est donc par les connoissances physiques & expérimentales, par le raisonnement & le bon usage des observations, qu’on parviendra à bien diriger ses opérations : il y a nombre d’inductions à tirer du tems, du lieu, des saisons & des causes extérieures. Quoiqu’en général il faille réunir les plaies, sont-ce les mêmes opérations qui procureront la réunion d’une plaie par instrument tranchant, ou par un coup de pierre, ou par la morsure d’un animal ? N’y a-t-il pas une autre conduite à tenir si l’animal est enragé ou s’il ne l’est pas ? Lanfranc cite ces exemples ; & de tous les détails dans lesquels il est entré, sur les différens points de doctrine nécessaires au médecin, il conclut que le chirurgien n’en doit pas être moins instruit ; sans préjudice des connoissances qui lui sont particulieres : c’est le témoignage d’un médecin, il n’est pas suspect. (Y)

OPÉRATION, s. f. en Logique, se dit des actes de l’esprit. On en compte quatre : savoir, l’appréhension ou perception, le jugement, le raisonnement & la méthode, voyez les chacun à son article. Toutes les opérations de notre ame s’engendrent d’une premiere : voici l’ordre de leur génération. Nous commençons par éprouver des perceptions dont nous avons conscience. Nous formons-nous ensuite une conscience plus vive de quelques perceptions ; cette conscience devient attention. Dès-lors les idées se lient, nous reconnoissons en conséquence les perceptions que nous avons eues, & nous nous reconnoissons pour le même être qui les a eues : ce qui constitue la réminiscence. L’ame réveille-t-elle ses perceptions ; c’est imagination. Les conserve-t-elle ; c’est contemplation. En rappelle-t-elle seulement les signes ; c’est mémoire. Dispose-t-elle de son attention ; c’est réflexion ; & c’est d’elle enfin que naissent toutes les autres. C’est proprement la réflexion qui distingue, compare, compose, décompose & analyse ; puisque ce ne sont là que différentes manieres de conduire son attention. De là se forment, par une suite naturelle, le jugement, le raisonnement, la conception.

Opération, en Théologie, se dit des actions du Verbe & de l’Homme dans J. C. L’Eglise catholique enseigne qu’il y a deux opérations en J. C. l’une divine & l’autre humaine, & non pas une opération théandrique, comme s’exprimoient les Monothélites & les Monophysites. Voyez Théandrique.

Opération, terme de Chirurgie, action méthodique de la main du chirurgien sur les parties du corps de l’homme, pour lui conserver ou lui rétablir la santé.

Les opérations de chirurgie s’exécutent généralement en réunissant les parties divisées ; en divisant ce qui est uni ; en faisant l’extraction des corps étrangers, & extirpant ce qui est superflu, défectueux & nuisible ; & en ajoutant ce qui manque par défaut de la nature ou par accident. Ces quatre genres d’opérations sont connus sous les noms de synthese, de diérese, d’exérese & de prothese. Voyez ces mots chacun à son article. Souvent plusieurs de ces opérations se trouvent réunies dans une seule ; tel est un abscès qu’on ouvre, dont on tire le pus, & où il faut ensuite procurer la réunion des parties.

Les opérations se font suivant certaines regles générales. Les auteurs scholastiques prescrivent essen-