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hommes pour juger avec les prêtresses. Celles-ci ne manquerent pas de condamner les envoyés, mais les deux juges leur furent plus favorables ; ainsi les voix étant partagées, ils furent absous.

Tite-Live, lib. VIII. c. xxjv. cite la réponse ambiguë de l’oracle de Dodone, qui fit périr Aléxandre, roi d’Epire. Ce prince méditant de faire une descente en Italie, se berça des plus grandes espérances de succès, lorsque sur sa consultation, l’oracle lui recommanda seulement d’éviter la ville de Pandosie & le fleuve Achéron. Il crut que Jupiter lui ordonnoit de quitter ses terres, & qu’il lui promettoit des conquêtes sans bornes, dès qu’il passeroit sur des rivages étrangers ; ce fut apparemment dans cette occasion qu’il fit frapper une médaille, où l’on voit d’un côté la tête de Jupiter Dodonéen, au revers un foudre surmonté d’une étoile, & au dessous une espece de lance, avec ces mots : ΑΛΕΞΑΝΔΡΟΥ ΤΟΥ ΝΕΟΠΤΟΛΕΜΟΥ. Cependant trois ans après ralliant ses troupes auprès du fleuve Acheron, il fut percé d’un javelot par un transfuge, & tomba dans la riviere, dont le courant l’emporta chez les ennemis qui traiterent son corps avec la derniere barbarie.

Nous savons aussi quelle fut la fin de l’oracle de Dodone. Dorimaque, au rapport de Polybe, brûla les portiques du temple, renversa de fond en comble le lieu sacré de l’oracle, & ruina ou plutôt pilla toutes les offrandes. L’oracle de Dodone étoit de l’institution des Pélasges, & nous pouvons placer la véritable époque de son commencement, environ 1400 ans avant J. C. (D. J.)

Oracle d’Esculape, (Théol. payenne.) outre l’oracle celebre d’Esculape à Epidaure en Argie, sur le golfe Saronique, ce dieu rendoit encore ses oracles dans son temple de l’île du Tibre. On a trouvé à Rome un morceau d’une table de marbre, où sont en grec les histoires de trois miracles d’Esculape : en voici le plus considérable traduit mot-à-mot sur l’inscription. « En ce même tems il rendit un oracle à un aveugle nommé Caïus ; il lui dit qu’il allât au saint autel, qu’il s’y mît à genoux, & y adorât ; qu’ensuite il allât du côté droit au côté gauche, qu’il mît les cinq doigts sur l’autel, & enfin qu’il portât sa main sur ses yeux. Après tout cela l’aveugle vit, le peuple en fut témoin, & marqua la joie qu’il avoit de voir arriver de si grandes merveilles sous notre empereur Antonin ». Les deux autres guérisons sont moins surprenantes ; ce n’étoit qu’une pleurésie & une perte de sang, desespérées l’une & l’autre à la vérité ; mais le dieu avoit ordonné à ses malades des pommes de pin avec du miel, & du vin avec de certaines cendres, qui sont des choses que les incrédules peuvent prendre pour de vrais remedes.

Ces inscriptions, pour être grecques, n’en ont pas moins été faites à Rome : la forme des lettres & l’ortographe ne paroissent pas être de la main d’un sculpteur grec. De plus, quoiqu’il soit vrai que les Romains faisoient leurs inscriptions en latin, ils ne laissoient pas d’en faire quelques-unes en grec, principalement lorsqu’il y avoit pour cela quelque raison particuliere. Or il est assez vraissemblable qu’on ne se servit que de la langue grecque dans le temple d’Esculape, parce que c’étoit un dieu grec, & qu’on avoit fait venir de Grece pendant cette grande peste, dont tout le monde sait l’histoire.

Oracle d’Héliopolis, (Théol. payenne.) c’étoit un oracle d’Apollon dans cette ville d’Egypte ; ce dieu, au rapport de Macrobe, Saturn. lib. l. c. xxiij. rendoit ses réponses de même que Jupiter Ammon. « On porte, dit cet auteur, la statue de ce dieu, de la même maniere qu’on porte celle des dieux dans la pompe des jeux du cirque. Les prêtres accom-

pagnés des principaux du pays, qui assistent à

cette cérémonie, la tête rasée, & après une longue continence, n’avancent pas selon qu’ils pourroient le vouloir, mais selon le mouvement que le dieu qu’ils portent leur donne, par des mouvemens semblables à ceux des sorts ou des fortunes d’Antium ».

Oracle de Mercure, à Pharès, (Théologie payenne.) un des oracles les plus singuliers est celui de Mercure à Pnarès, ville d’Achaïe, duquel parle Pausanias dans ses Achaïques, liv. VII. chap. xxij. Après beaucoup de cérémonies, dont le détail n’est pas ici nécessaire, on parloit au dieu à l’oreille, & on lui demandoit ce qu’on avoit envie de savoir : ensuite on se bouchoit les oreilles avec les mains, on sortoit du temple, & les premieres paroles qu’on entendoit au sortir de là, c’étoit la réponse de Mercure. (D. J.)

Oracle de Mopsus, (Théol. payenne.) on connoît par la fable ce fils d’Apollon & de Manto, fille de Tirésias, & qui devint aussi fameux devin que son grand-pere : aussi fut-il après sa mort honoré comme un demi-dieu, & eut un oracle célebre à Malle, ville de Cilicie ; cet oracle se rendoit sur des billets cachetés, que les prêtres des dieux savoient décacheter sans qu’il y parût : assurément ils ouvrirent celui que le gouverneur de Cilicie, dont parle Plutarque, avoit envoyé en consultation à leur oracle.

Ce gouverneur ne savoit que croire du dieu, il étoit obsédé d’épicuriens qui lui avoient jetté beaucoup de doute dans l’esprit ; il se résolut, comme dit agréablement Plutarque, d’envoyer un espion chez les dieux pour apprendre ce qui en étoit. Il lui donna un billet bien cacheté pour le porter à l’oracle de Mopsus. Cet envoyé dormit dans le temple, & vit en songe un homme fort bien fait qui lui dit noir. Il porta cette réponse au gouverneur. Elle parut très-ridicule à tous les épicuriens de sa cour, mais il en fut frappé d’étonnement & d’admiration, & en leur ouvrant son billet il leur montra ces mots qu’il y avoit écrit : « t’immolerai-je un bœuf blanc ou noir » ? Après ce miracle il fut toute sa vie fort dévot au dieu Mopsus.

Oracle de Sérapis, (Théol. payenne.) ce dieu des Egyptiens avoit deux oracles célebres, l’un à Canope, qui étoit le plus fameux de toute l’Egypte, & l’autre à Babylone.

Selon Strabon, il n’y avoit rien de plus gai dans toute la religion payenne que les pelerinages qui se faisoient en l’honneur de Sérapis. « Vers le tems de certaines fêtes, dit-il, on ne sauroit croire la multitude de gens qui descendent sur un canal d’Alexandrie à Canope où est ce temple ; jour & nuit ce ne sont que bateaux pleins d’hommes & de femmes, qui chantent & qui dansent avec toute la liberté imaginable ». A Canope il y a sur le canal une infinité d’hôtelleries qui servent à retirer ces voyageurs, & à favoriser leurs divertissemens : ce temple-de Sérapis fut détruit par l’ordre de l’empereur Théodose.

Le sophiste Eunapius, payen, paroît avoir grand regret à la démolition qui fut faite de ce temple, & nous en décrit la fin malheureuse avec assez de bile. Il dit que des gens qui n’avoient jamais entendu parler de la guerre, se trouverent pourtant fort vaillans contre les pierres de ce temple, & principalement contre les riches offrandes dont il étoit plein ; que dans ces lieux saints on y plaça des moines, gens infames & inutiles, qui pourvû qu’ils eussent un habit noir & malpropre, prenoient une autorité tyrannique sur l’esprit des peuples, & que ces moines, au-lieu des dieux que l’on voyoit par les lumieres de la raison, donnoient à adorer des têtes de bri-