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tems un trou énorme dans le lobe de l’oreille, qui croît toujours à proportion que le trou s’élargit.

Les habitans du pays de Laos, & les Indiens de l’Amérique méridionale, portent à leurs oreilles de ces morceaux de bois qui, semblables à des dames de trictrac, ont un pouce de diametre. Les sauvages de la Guyane y mettent de gros bouquets de fleurs. La reine de Calicut, qui peut épouser tant de maris qu’elle veut, & les dames de sa suite qui jouissent du même privilege, ont encore celui de porter des pendans d’oreilles qui leur descendent jusque sur le sein. Les négres du Sénégal, hommes & femmes, en portent aussi qui sont faits de coquilles, de corne, de morceaux de bois ou de métal, qui pesent plusieurs onces.

On ne sait sur quoi peut être fondée cette coutume singuliere de tant de peuples, d’alonger ou d’élargir si prodigieusement les oreilles. Il est vrai qu’on ne sait guere mieux d’où peut venir l’usage de quelques autres nations de se percer aussi les narines, pour y porter des boucles, des anneaux, &c. à moins, dit l’auteur ingénieux de l’histoire naturelle de l’homme, d’en attribuer l’origine aux peuples encore sauvages & nus, qui ont cherché à porter de la maniere la moins incommode, les choses qui leur ont paru les plus précieuses, en les attachant à ces parties ; mais c’en est assez sur le bout des oreilles, passons aux muscles.

Des muscles de l’oreille externe. Les Anatomistes ne conviennent point du nombre & de la situation des muscles de l’oreille. Schellammer nie qu’il y en ait aucun, mais il est presque le seul de son avis : les docteurs Keill & Drake en admettent deux ; Cowper en reconnoît trois, l’un qui tire l’oreille en haut, les deux autres qui la tirent en bas & en arriere. Heister & Winslow en comptent aussi trois, l’un postérieur, l’autre supérieur, & un troisieme antérieur.

Le muscle postérieur a été décrit d’une façon douteuse par Colombus, mais clairement par Fallope. Il se divise peut-être assez souvent en deux ou trois, comme Morgagni l’a observé. Eustachi semble marquer la même division dans ses tables anatomiques. Daverney en fait plusieurs muscles fort grêles, division qui n’est cependant qu’artificielle, & occasionnée par la maniere de disséquer.

Le muscle supérieur, plus connu que tous les autres, a été décrit en premier lieu par Fallope. Les bonnes figures sont celles d’Eustachi & d’Albinus ; celles de Duverney sont trop droites. Il faut encore faire moins de cas de celles de Valsalva & de Cowper. Morgagni a fort bien décrit toutes les variétés de ce muscle.

Le muscle antérieur est plus difficile à découvrir, & souvent, de l’aveu de Morgagni, il manque. Ce n’est qu’un petit faisceau de fibres charnues, qui naissent sous le muscle supérieur, & qui en sont une suite.

Valsalva & Santorini ont tellement multiplié les muscles de l’oreille, qu’on a raison de leur en faire des reproches, & de mettre leur multiplication des muscles de cette partie au nombre des productions de leur imagination & de leur scapel.

Au reste, la diversité qui regne sur le nombre des muscles de l’oreille, & sur leur description, vient de plusieurs causes. 1°. De la dissection des oreilles d’animaux transportée par quelques modernes, & certainement par les anciens aux oreilles humaines. 2°. De la variété qui se rencontre non seulement dans des sujets différens, mais encore dans le même. 3°. De la diverse méthode de dissection des fibres musculaires. 4°. Du goût de la plupart des Anatomistes pour les minuties, & de la gloire qu’ils ont cru acquérir en qualifiant ces minuties de nouvelles décou-

vertes : cependant rien n’est moins important que le

nombre de ces muscles ; outre qu’ils sont fort petits, minces & grêles dans l’homme, & qu’ils paroissent à peine, nous en ignorons l’utilité. Quelle qu’elle soit, il est certain que presque tous les hommes, par habitude ou autrement, ont l’oreille immobile ; il est fort rare d’en trouver qui les puissent remuer.

Des oreilles mobiles. Il ne faut pas trop compter sur le témoignage d’Epicharme, qui donne à Hercule la propriété des oreilles mobiles. Les Poëtes comme les Peintres, ont eu de tout tems la liberté de feindre & d’imaginer : mais Justinien a été du petit nombre de gens à oreilles mobiles, car Procope le compare à un âne, non seulement à cause de sa bêtise, mais encore eu égard à la mobilité de ses oreilles. Eustachius cite un prêtre qui étoit dans le même cas. L’abbé de Marolles atteste le même fait du philosophe Crassot, qui redressoit ses oreilles quand il vouloit, sans y toucher. Vesale, l. II. ch. xiij. assure qu’il a vu à Padoue deux hommes dont les oreilles se mouvoient. Valverda, ch. ij de son anat. dit avoir vu la même chose dans un espagnol qui étoit à Rome ; & du Laurent, l. XI. ch. xij. affirme qu’il a vu ce phénomene dans quelques personnes.

Mery, célebre chirurgien de l’Hôtel Dieu, avoit si bien le libre mouvement des muscles de l’oreille, que parlant de cette partie dans un cours public, en 1695, il remua plusieurs fois son oreille droite de devant en arriere, en présence de l’assemblée qui étoit nombreuse, & composée de gens de son art. En mon particulier, je suis étroitement attaché par les liens du sang, plus encore par ceux de la tendresse & de la reconnoissance, à une dame d’un mérite rare, qui dit avec vivacité en plaisantant, & faisant mouvoir ses oreilles de haut en bas, & de bas en haut, qu’elle tient de la nature des bouriques ; & c’est bien à coup sûr, la seule chose qu’elle a de commun avec elles.

Du conduit auditif externe. En avançant vers la partie interne de l’oreille, nous rencontrons le conduit auditif, qui est d’une substance en partie cartilagineuse, & en partie osseuse, tapissée d’une peau polie, qui s’amincit insensiblement, & qui est enduite d’une matiere cérumineuse qu’on nomme cire d’oreille.

Ce canal auditif est très-propre à porter le son au dedans de l’oreille sans l’altérer, & son obliquité en augmentant les surfaces, multiplie les lieux de réflexion. Une languette cartilagineuse, triangulaire, tremblante, élevée, droite sur la cavité de la conque, située principalement au-dessus de l’orifice du conduit auditif, garnie d’un muscle décrit par Valsalva, détermine par une belle méchanique tous les rayons qui y abordent, à entrer dans le canal, sans qu’ils puissent en sortir, de quelque endroit qu’ils aient été refléchis.

Il étoit nécessaire que ce conduit fût d’une substance dure, afin qu’il pût réfléchir le son, & par son insertion oblique, la nature nous fait voir un artifice merveilleux ; car quand on est au milieu d’une chambre couverte d’une voûte ronde, si l’on jette une pomme contre quelque côté que ce soit, elle revient toujours au milieu ; & si l’on se place à un coin de la chambre, la pomme que l’on jettera contre la voûte ira toujours vers l’autre coin opposé. On peut dire la même chose de l’oreille ; si le conduit externe se rendoit en droite ligne, & perpendiculairement au tambour, les rayons sonores reviendroient dans son ouverture ; mais comme il entre obliquement dans cette cavité, les rayons sonores vont heurter contre la partie elliptique supérieure de la caisse, ainsi ils doivent revenir sur l’inférieure, c’est-à-dire vers l’endroit où sont la fenêtre ovale & la fenêtre ronde. Enfin quand il se