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de chiffons, qu’il ne reste plus rien à desirer à cet égard.

De-là vient que depuis peu, quelques physiciens ont tâché d’étendre les vûes que l’on pouvoit avoir sur le papier, en examinant si avec l’écorce de certains arbres de nos climats, ou même avec du bois, qui auroit acquis un certain degré de pourriture, on ne pourroit pas parvenir à faire du papier, & c’est ce dont quelques tentatives ont confirmé l’espérance. Il étoit assez naturel de soupçonner cette possibilité, puisque long-tems avant l’invention du papier européen, on en faisoit en Egypte avec le papyrus, espece de souchet du Nil, en orient avec le chiffon de toile de coton, & avec le liber de plusieurs plantes. Les Japonnois fabriquent aussi différentes especes de papiers, avec l’écorce, & autres parties de leurs arbres ; les Chinois avec leur bambou, avec du chanvre, de la laine blanche, du coton, & de la soie, &c. Busbec nous apprend encore qu’on en fait au Cathay avec des coques de vers à soie. Voyez la lettre iv. de son ambassade en Turquie.

Le chiffon de toile de chanvre ou de lin, n’est qu’un tissu de fibres ligneuses de l’écorce de ces deux plantes, que les lessives & les blanchissages ont débarrassées de plus-en-plus de la partie spongieuse, que les Botanistes appellent parenchyme. M. Guettard a d’abord examiné si ces fibres ligneuses, n’étant encore que dans l’état où elles portent le nom de filasse, ne donneroient pas du papier ; car par-là on rendroit utiles les chenevottes mêmes, ou le tuyau de la plante dont la filasse a été séparée, & il est plus que probable que les filasses d’aloès, d’ananas, de palmiers, d’orties, & d’une infinité d’autres arbres ou plantes, seroient susceptibles de la même préparation. La filasse de chanvre, simplement battue, a produit une pâte dont on a formé un papier assez fin, & qui pourroit se perfectionner.

Mais il faut avouer que nous ne sommes pas aussi riches en arbres & en plantes, dont on puisse aisément détacher les fibres ligneuses, que le font les Indiens de l’un & de l’autre hémisphere. Nous avons cependant l’aloès sur certaines côtes : en Espagne on a une espece de sparte ou de genêt qu’on fait rouir pour en tirer la filasse, & dont on fabrique ces cordages que les Romains appellent sparton ; on en pourroit donc tirer du papier. M. Guettard en a fait avec nos orties & nos guimauves des bords de la mer, & il ne desespere pas qu’on n’en puisse faire avec plusieurs autres de nos plantes, ou de nos arbres mêmes, sans les réduire en filasse.

Le raisonnement qui l’avoit conduit à fabriquer du papier immédiatement avec la filasse, lui a fait essayer d’en tirer de même du coton, & il y a réussi. Il vouloit s’assurer par-là si le duvet des plantes étrangeres pouvoit donner par lui-même une pâte bien conditionnée, pour travailler avec plus de sureté sur les duvets de celles qui croissent chez nous, telles par exemple, que les chardons ; ou sur celles qui quoiqu’étrangeres, viennent fort bien dans notre climat, comme l’apocyn de Syrte, &c.

La soie de nos vers à soie, est d’un usage trop précieux, & n’est pas à beaucoup près assez abondante chez nous pour être employée immédiatement à la fabrique du papier ; mais nous avons une espece de chenille qu’on nomme commune, & qui ne mérite que trop ce nom, qui file une très-grande quantité de soie. C’est sur cette soie, tout au moins inutile jusqu’à ce jour, que M. Guettard a fait ses expériences, & avec plus de succès qu’il n’eût osé l’espérer : le papier qu’elle lui a donné a de la force, & manque seulement de blancheur.

On a fait en Angleterre du papier avec des orties, des navets, des panais, des feuilles de choux, de lin en herbe, & de plusieurs autres végétaux fibreux ;

on en a fait aussi avec de la laine blanche ; ce papier de laine n’est pas propre à écrire, parce qu’il est cotonneux, mais il pourroit être d’usage dans le commerce. Voyez Houghton, Collections, n°. 360. t. II. pag. 418. & suivantes.

En un mot, on est parvenu à faire du papier de toutes sortes de matieres végétables, & d’une infinité de substances que nous rejettons comme inutiles ; je ne doute pas qu’on n’en pût faire encore de boyaux & de tripes d’animaux, même de matieres minérales cotonneuses, puisqu’on en fait de l’amianthe ou de l’asbeste ; mais l’important seroit d’en faire qui coûtât moins que le papier de chiffons, sans quoi toutes les recherches en ce genre ne sont que de pure curiosité.

On peut lire sur le papier Leonis Allatii, antiquitates etruscæ ; nigrisoli de chartâ ejusque usu apud antiquos, piece qui est dans la galeria di Minerva ; Mabillon, de re diplomaticâ ; Montfaucon, Palæographia græca ; Maffei, Historia diplomatica, ou Biblioth. italiq. t. II. Harduinus, in Plinium ; Reimm. Idæa system. antiq. litter. Bartholinus, Dissertatio de libris legendis ; Polydorus Virgilius, de rer. invent. Vossius, de arte Gram. lib. I. Alexand. ab Alexand. liv. II. ch. 30. Salmuth ad Pancirol. l. II. tit. cclij. Grew, Mus. reg. societ. Prideaux, Connections ; Pitisci, Lexicon antiq. rom. tom. I. voce charta ; enfin le Dictionnaire de Chambers, où l’article du papier est presque complet ; Fabricius indiquera les autres auteurs sur ce sujet dans sa Bibliotheca antiqua.

Les principaux papiers qui méritent notre examen se peuvent réduire au papier égyptien, chinois, japonois, européen, papier de coton, papier d’écorce, papier d’asbeste ; nous nous proposons de traiter de chacun de ces papiers en particulier.

Pour le faire méthodiquement nous parlerons,

1°. Du papier d’Egypte le plus célebre de tous.

2°. Du papier de coton qui lui a succédé.

3°. Du papier d’écorce interne des arbres.

4°. Du papier de la Chine.

5°. Du papier du Japon.

6°. Du papier européen, c’est-à-dire du papier de linge.

7°. De la fabrique du papier marbré en particulier.

8°. Du commerce du papier de linge en général.

9°. Du papier d’asbeste, nommé papier incombustible.

10°. Enfin nous traiterons du papyrus & du parchemin sous leurs lettres particulieres. (Le chevalier de Jaucourt).

Papier d’Egypte, (Arts anciens.) c’est ce papier fameux dont les anciens se servoient, & qui étoit fait par art d’une espece de jonc nommé papyrus, qui croissoit en Egypte sur les bords du Nil. Selon Isidore, Memphis a la gloire d’avoir la premiere su faire le papier du papyrus ; & Lucain semble appuyer cette idée : quand il dit :

Nondum flumineas Memphis contexere biblos
Noverat.

Pharsal, liv. III. v. 222.

Ce qu’il y a de bien sûr, c’est que de toutes les matieres sur lesquelles les anciens ont écrit ; il n’en est point qui présente autant d’avantages que le papier, soit par rapport à sa légereté, soit par rapport à la facilité de la fabrique ; c’étoit un présent simple de la nature, & le produit d’une plante qui n’exigeoit ni soins, ni culture. Aussi toutes ces raisons le rendirent d’un usage presque général dans le monde civilisé. Quoiqu’on ait varié les matieres qui peuvent recevoir l’écriture, cependant l’on a toujours préféré pour une chose si nécessaire ce qu’il y avoit de plus commun & de plus facile à transporter ; ainsi, le parchemin, le papier, & les tablettes de cire ont été d’un usage plus