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été également bonne pour cette premiere préparation, qui consistoit à détremper les lames du papyrus, & à faciliter l’expression du suc qu’elles renfermoient ; mais l’ivoire, la coquille, la dent de loup, l’opération du marteau, &c. étoient dus à la préparation donnée au papier par les marchands de Rome. Pour ce qui est de la colle, comme les Egyptiens en connoissoient l’usage, il est vraissemblable qu’ils l’ont appliqué à celui du papier, dont l’emploi étoit également varié & étendu.

Les papiers d’Auguste, de Livie, de Faunius, d’amphithéatre, enfin tous ceux qui portoient les dénominations romaines, étoient constamment faits avec le papyrus d’Egypte ; mais préparés & travaillés de nouveau à Rome. Le plus grand avantage de ces papiers ne consistoit que dans la façon dont ils étoient battus, lavés, &c. On apperçoit par le récit de Pline, une grande différence dans les grandeurs de chaque feuille, en les comparant au papier fabriqué en Egypte ; on voit même que les papiers travaillés à Rome, sont de mesures variées ; mais en général plus petites. Enfin il ne faut pas douter que la manufacture du papier d’Egypte n’ait été beaucoup perfectionnée en Europe. Cassiodore fait l’éloge des feuilles de papyrus employées de son tems. Il dit qu’elles étoient blanches comme la neige, & composées d’un grand nombre de petites pieces, sans qu’il parût aucune jointure. On avoit perfectionné l’art dont parle Ovide dans le I. liv. des tristes, de polir le papier avec la pierre-ponce

Mais comme malgré tous ces soins on ne pouvoit éviter que les feuilles de papier trop fragiles pour se soutenir, ne vînssent à dépérir en peu de tems, sur-tout quand on les employoit à faire des livres ; on s’avisa de les entremêler de feuilles de parchemin sur lesquels l’écriture étoit continuée, de sorte qu’après quatre, cinq, six, ou quelquefois sept feuilles de papier d’Egypte, on mettoit deux feuilles de parchemin. On conserve à l’abbaye de S. Germain des près une partie des épitres de S. Augustin, écrites de cette maniere sur du papier d’Egypte, entre-mêlés de feuilles de parchemin. C’est un vieux manuscrit, auquel on donne environ 1100-ans. Les lettres y sont encore en bon état, & l’encre sans s’éteindre a conservé sa noirceur.

Les Egyptiens faisoient dans tout le monde un grand commerce de leur papier ; ce commerce augmenta sur la fin de la république, & devint encore plus florissant sous le regne d’Auguste ; aussi comme le débit de ce papier étoit prodigieux pour les nations étrangeres, on en manquoit quelquefois à Rome ; c’est ce qu’on vit arriver du tems de Tibere ; comme on ne reçut à Rome qu’une petite quantité de papier d’Egypte ; cet événement causa du tumulte, & le sénat nomma des commissaires, pour en distribuer à chacun selon ses besoins, autant que la disette le permettoit. Plutarque fait voir combien le trafic de ce papier étoit grand, quand il dit dans son traité Colotès : « Ne faudroit-il pas que le Nil manquât de papyrus avant que ces gens-là cessassent d’écrire » ? L’empereur Hadrien, dans sa lettre à Servien, consul, que Vopisque nous a conservée, met entre les principaux arts qu’on exerçoit à Alexandrie, celui de faire des feuilles à écrire. C’est une ville riche & & opulente, dit-il, où personne ne vit dans l’oisiveté. Les uns travaillent en verre, les autres font des feuilles à écrire ; d’autres de la toile : on les voit tous vacquer à toutes sortes de métiers. Il y a là de l’ouvrage pour les goutteux, & pour les aveugles ; ceux mêmes qui ont la chiragre ou la goutte aux mains, n’y manquent pas d’exercice. Sous les Antonins ce commerce continua dans la même forme. Apulée dit au commencement de ses métamorphoses, qu’il écrit sur du papier d’Egypte, avec une canne du Nil ; car

c’étoient le Nil & Memphis qui fournissoient la plûpart des cannes dont on se servoit, comme on se sert aujourd’hui de plumes.

Les empereurs se servoient des feuilles de papier d’Egypte pour écrire leurs lettres & leurs mémoires. Domitien, dit Dion, écrivit les noms de ceux qu’il vouloit faire mourir sur une feuille double de philyre ; car, selon Hérodien, ces sortes de feuilles simples étoient fort minces. Le commerce de ce papier étoit si grand vers la fin du iij. siecle, que le tyran Firmus s’étant emparé de l’Egypte, se vantoit qu’il avoit assez de papier & de colle pour nourrir son armée ; c’étoit apparemment du prix qu’il retireroit de la vente de ce papier que Firmus prétendoit être en état de nourrir son armée.

S. Jerome nous apprend que l’usage de ce papier d’Egypte étoit toujours le même dans le v. siecle où il vivoit : Le papier ne vous a pas manqué, dit-il, dans sa lettre à Chromace, puisque l’Egypte continue son commerce ordinaire. Les impôts sur le papier étant trop grands sur la fin du même siecle, ou au commencement du suivant, Théodoric, roi d’Italie, prince modéré & équitable, en déchargea le public. Ce fut sur cela que Cassiodore écrivit la 38 lettre de son XI. liv. où il semble féliciter toute la terre de la décharge de cet impôt, sur une marchandise si nécessaire à tout le genre humain.

Le vj. siecle, selon les PP. Monfaucon & Mabillon, fournit aussi des monumens écrits sur le papier d’Egypte. Ils citent une charte appellée charta plenariæ securitatis de l’empereur Justinien ; le P. Mabillon l’a fait imprimer peu de tems avant sa mort avec la forme des caracteres ; ce monument singulier est à la bibliotheque du roi de France.

Le P. Montfaucon dit aussi avoir vu, en 1698, à Venise dans la bibliotheque du procurateur Julio Justiniani, trois ou quatre fragmens de papier d’Egypte, dont l’écriture étoit du même siecle ; mais dont on ne pouvoit rien tirer, parce que c’étoit des morceaux rompus où l’on ne trouvoit aucune suite. Le P. Mabillon parle dans sa diplomatique d’un autre manuscrit, qu’il croit être du même siecle, & qui étoit autrefois de la bibliotheque de M. Petau. Mais le P. Montfaucon n’a jamais pu voir ce manuscrit. Il cite en échange un manuscrit en papier d’Egypte qu’on conserve à la bibliotheque de S. Ambroise de Milan, & qui contient quelques livres des antiquités judaïques de Josephe en latin. Il donne à ce manuscrit à-peu-près la même antiquité ; mais il l’a trouvé en assez mauvais état.

Le même pere dit avoir vu dans la bibliotheque de S. Martin de Tours les restes d’un vieux livre grec écrit sur du papier d’Egypte, & qui lui parut être du vij. siecle. Ce manuscrit n’avoit ni accent, ni esprit.

Il croit encore que l’évangile de S. Marc, qu’on garde dans le trésor de Venise, est écrit sur des feuilles de papier d’Egypte, qui lui ont paru cependant beaucoup plus délicates qu’aucune autre. Il pense que c’est le plus ancien de tous les manuscrits, & qu’on ne hasarde guere en disant qu’il est au plus tard du iv siecle. Ce manuscrit est presque tout effacé, & si pourri, que les feuilles étant toutes collées l’une contre l’autre, on ne peut tenter de tourner un feuillet sans que tout s’en aille en pieces ; enfin, ajoute-t-il, on n’y sauroit lire deux mots de suite.

On se servoit, selon le même pere, en France, en Italie, & dans d’autres pays de l’Europe, du papier d’Egypte pour des lettres ou des actes publics. Il en reste encore, dit-il, un assez grand nombre dans les abbayes & dans les archives des églises, comme à S. Denis, à Corbie, à l’abbaye de Grasse, & en d’autres endroits.

Il est vraissemblable que l’invention du papier de coton, dont nous parlerons séparement, a fait tom-