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touchantes que le poëte. Il est aussi d’autres sujets plus avantageux pour le poëte que pour le peintre.

Agatharque de Samos travailla le premier à la sollicitation d’Eschile, aux embellissemens de la scene, selon les regles de la perspective sur laquelle il composa même un traité pour faire des décorations en ce genre. Plutarque, Vitruve & Suidas nous apprennent en même tems qu’il fleurissoit vers la 75 olympiade, c’est-à-dire 480 ans avant J. C.

Aglaophon ; Athénée cite deux tableaux d’Aglaophon. Dans l’un Alcibiade revenant des jeux olympiques, étoit représenté, couronné par les mains d’une olympiade & d’une pythiade, c’est-à-dire par les déesses qui présidoient à ces jeux ; & dans l’autre il étoit couché sur le sein de la courtisane Némea, comme se délassant de ses travaux. Ce dernier tableau d’Alcibiade nous rappelle celui que Lucrece fait de Mars couché sur le sein de Vénus, morceau de poésie comparable aux plus beaux morceaux d’Homere. La grande gloire d’Aglapohon est d’avoir eu pour fils & pour éleve le célebre Polygnote.

Antidotus, éleve d’Euphranor, diligentior quam numerosior, & in coloribus severus, dit Pline. Il fut plus soigneux que fécond, & très-exact dans sa couleur, c’est-à-dire qu’il observa la couleur locale, & qu’il ne s’écarta point de la vérité. Cet Antidotus eut pour éleve Nicias, athénien, qui peignit si parfaitement les femmes, & dont il y aura de plus grands éloges à rapporter ; car il conserva avec soin la vérité de la lumiere & celle des ombres, lumen & umbras custodivit ; c’est-à-dire qu’il y a mieux entendu le clair obscur ; & par une suite nécessaire, les figures de ses tableaux prenoient un grand relief, & les corps paroissoient saillans.

Antiphile né en Egypte, contemporain de Nicias & d’Apelle, se montra fort étendu dans son art, & réussit également dans les grands & les petits sujets. Il peignit Philippe, & Alexandre encore enfant ; mais il s’acquit beaucoup plus de gloire par le portrait d’un jeune garçon qui souffloit le feu, dont la lueur éclairoit un appartement d’ailleurs fort orné, & faisoit briller la beauté du jeune homme. Pline loue cet ouvrage de nuit, & avec raison ; car il n’en faut pas davantage pour prouver que cette partie de la Peinture, qui consiste dans la belle entente des reflets & du clair-obscur, étoit connue de l’ingénieux Antiphile, quoique M. Perrault en ait refusé l’intelligence aux anciens.

Le même Antiphile a été l’inventeur du grotesque ; il représenta dans ce goût Gryllus, apparemment l’olympionique de ce nom, que Diodore place à la cent douzieme olympiade ; & le nom de Grillus fut conservé dans la suite à tous les tableaux que l’on voyoit à Rome, & dont l’objet pouvoit être plaisant ou ridicule. C’est ainsi que l’on a nommé en Italie depuis le renouvellement des arts, bambochades, les petites figures faites d’après le peuple, & que Pierre Van Laïr, hollandois, surnomme Bamboche par un sobriquet que méritoit sa figure, avoit coutume de peindre. C’est encore ainsi que nous disons une figure à Calot, quand elle est chargée de quelque ridicule, ou de quelque imperfection donnée par la nature, ou survenue par accident ; non que cet habile dessinateur n’ait fait comme Antiphilus, des ouvrages d’un autre genre ; mais il est singulier de voir combien le monde se répete dans les opérations, dans celles même qui dépendent le plus de l’esprit.

Apaturius ; ce prestige de la Peinture qui consiste à éloigner des objets dans un tableau, faire fuir les uns & rapprocher les autres, est un prestige que connoissoient les anciens ; Apaturius en donna des preuves dans une décoration de théatre qu’il fit à Tralles, ville de Lydie. Nous en parlerons au mot Perspective. C’est Vitruve seul, liv. VII. chap. v. qui nous

a conservé le souvenir du peintre Apaturius, sans nous apprendre ni sa patrie, ni dans quel tems il vivoit.

Apelle né l’an du monde 3672 ; il eut au degré le plus éminent la grace & l’élégance pour caractériser son génie, le plus beau coloris pour imiter parfaitement la nature, le secret unique d’un vernis pour augmenter la beauté de ses couleurs, & pour conserver ses ouvrages. Il se décéla à Protogene par sa justesse dans le dessein, en traçant des contours d’une figure (lineas) sur une toile. Il inventa l’art du profil pour cacher les défauts du visage. Il fournit aux Astrologues par ses portraits, le secours de tirer l’horoscope, sans qu’ils vissent les originaux. Il mit le comble à sa gloire par son tableau de la calomnie, & par sa Vénus Anadyomene, que les Poëtes ont tant célébrée, & qu’Auguste acheta cent talens, c’est-à-dire selon le P. Bernard ; environ vingt mille guinées, ou selon Mrs Belley & Barthelemi, 470000 liv. de notre monnoie. Enfin Apelle contribua lui seul plus que tous les autres artistes ensemble, à la perfection de la Peinture par ses ouvrages & par ses écrits, qui subsistoient encore du tems de Pline. Contemporain d’Aristote & d’Alexandre, l’un le plus grand philosophe, l’autre le plus grand conquérant qu’il y ait jamais eu dans le monde, Apelle est aussi le plus grand peintre.

Il vivoit vers la cent douzieme olympiade ; il étoit de Cos selon Ovide, d’Ephese suivant Strabon ; & si l’on en croit Suidas, il étoit originaire de Colophon, & devint citoyen d’Ephese par adoption. Cette diversité de sentimens semble indiquer que plusieurs villes se disputoient l’honneur d’avoir donné naissance à ce grand peintre, comme d’autres villes se sont disputé l’honneur d’être la patrie d’Homere.

Les habitans de Pergame acheterent des deniers publics, un palais ruiné, où il y avoit quelques peintures d’Apelle, non-seulement, dit Solin, pour empêcher les araignées de tendre leurs toiles dans une maison que les ouvrages de cet excellent artiste rendoient respectable, mais encore pour les garantir des ordures des oiseaux. Les citoyens de Pergame firent plus, ils y suspendirent le corps d’Apelle dans un reseau de fil d’or. On pourroit expliquer ce passage en imaginant qu’ils firent couvrir & réparer ce vieux palais, qui sans doute étoit inhabité, & dont nous dirions aujourd’hui que c’étoit un nid de chauve-souris, &c. Par cette explication, le récit de Solin n’auroit rien de ridicule ; mais il n’importe, il suffit de croire que tous les soins qu’on prit, eurent pour objet l’illustration de la mémoire d’Apelle, & la conservation de ses ouvrages ; leur beauté n’ôtoit rien à la ressemblance, ce qui fit dire à Apion d’un métoposcope, qu’il dressoit des jugemens certains sur le front d’une tête tirée de la main d’Apelle.

C’est le peintre sur lequel Pline, ainsi que tous les auteurs, s’est le plus étendu, & dont il a le mieux parlé. Voici un de ses passages : Pinxit & quæ pingi non possunt, tonitrua, fulgura, fulgetraque, bronten, astrapen : ceraunobolian appellant : inventa ejus, & cæteris proficere in arte. Toutes ces différences de noms données autrefois à la foudre, ne conviennent plus à la simplicité de nos principes physiques ; mais il semble que l’art devoit être bien resserré dans les grands effets de la nature avant Apelle, si elle lui a l’obligation dont parle Pline.

Il avoit représenté Alexandre ayant le foudre en main : digiti eminere videntur, & fulmen extrà tabulam esse. Cette attitude indique un raccourci des plus nobles & des plus heureux, & cette description est vraiment faite par un homme de l’art, car Raphaël ne se seroit pas exprimé autrement, en parlant d’un tableau de Michel-Ange : « la main étoit saillante, & le foudre paroissoit hors de la toile. »