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la peinture antique, avec la peinture moderne, sur la foi des fragmens de la peinture antique, qui ne subsistent plus qu’en images, du moins par la vétusté. D’ailleurs ce qui nous reste, & ce qui étoit peint à Rome sur les murailles, n’a été fait que long-tems après la mort des peintres célebres de la Grece. Or il paroît par les écrits des anciens, que les peintres qui ont travaillé à Rome sous Auguste, & sous ses premiers successeurs, étoient très-inférieurs au célebre Apelle, & à ses illustres contemporains. Pline qui composoit son histoire sous Vespasien, & quand les arts avoient atteint déjà le plus haut point de perfection où ils soient parvenus sous les empereurs, ne cite point parmi les tableaux qu’il compte pour un des plus grands ornemens de la capitale de l’univers, aucun tableau qui donne lieu de croire avoir été fait du tems des Césars. On ne sauroit donc asseoir sur des fragmens de la peinture antique qui nous restent, & qui sont les débris faits dans Rome sous les empereurs, aucun jugement certain concernant le degré de perfection où les Grecs & les anciens Romains pourroient avoir porté ce bel art. On ne sauroit même décider par ces fragmens, du degré de perfection où la Peinture pouvoit être lorsqu’ils furent faits, quel rang tenoit entre les peintres de son tems, l’artiste qui les fit, ni en quel endroit étoit son ouvrage, & s’il passoit pour un ouvrage excellent en son genre.

Il seroit téméraire de décider la question de la prééminence de la peinture antique sur ce que nos tableaux ne font point ces effets prodigieux que les tableaux des anciens peintres ont fait quelquefois suivant les apparences. Les récits des écrivains qui nous racontent ces effets, sont exagérés, & nous ne savons pas même ce qu’il en faudroit rabatre pour les réduire à l’exacte vérité. Nous ignorons quelle part la nouveauté de l’art de la Peinture, peut avoir eue dans l’impression qu’on veut que certains tableaux ayent faite sur les spectateurs. Les premiers tableaux, quoique grossiers, ont dû paroître des ouvrages divins. L’admiration pour un art naissant, fait tomber aisément dans l’exagération, ceux qui parlent de ces productions ; & la tradition en recueillant ces récits outrés, aime encore quelquefois à les rendre plus merveilleux qu’elle ne les a reçus. On trouve même dans les écrivains anciens des choses impossibles données pour vraies, & des choses ordinaires traitées de prodige. Savons-nous d’ailleurs quel effet auroient produit sur des hommes aussi sensibles & aussi disposés à se passionner, que l’étoient les compatriotes des anciens peintres de la Grece, plusieurs tableaux de Raphaël, de Rubens, & d’Annibal Carrache ?

Enfin nous ne savons pas même quelle comparaison on pouvoit faire autrefois entre les fragmens de peinture antique qui nous restent, & les beaux tableaux des peintres de la Grece qui ne subsistent plus.

Les injures du tems, & les ravages des hommes plus cruels que le tems même, nous ont dérobé les moyens de prononcer d’une façon décisive sur la peinture des Grecs. Il est probable que leurs peintres réunissoient dans leurs ouvrages les beautés que l’on admire dans leurs sculpteurs ; cependant on n’accorde communément aux peintres grecs que le dessein & l’expression, & on leur ôte la science de la perspective, de la composition & du coloris. On fonde ce sentiment sur les bas-reliefs antiques, & sur quelques peintures anciennes qui ont été trouvées aux environs de Rome, & à Rome même dans des voûtes souterraines des palais de Mecene, de Titus, de Trajan & des Antonins. Il est à observer que ces peintures, dont il n’y en a guere que huit qui se soient conservées en entier, & dont quelques-unes ne sont

qu’en mosaïques, ne viennent point des auteurs grecs.

Turbull, auteur anglois, a fait un traité sur la peinture des anciens, en un vol. in fol. imprimé en 1740 ; il a orné son ouvrage de plusieurs de ces morceaux qui ont été dessinés par Camillo Paderini, & gravés par Mynde, & qui font le seul mérite d’un livre magnifique, dont on a sujet de regretter le papier mal employé. Parmi les estampes de cet ouvrage, il y en a deux dont les originaux étoient dans le cabinet de feu M. Richard Mead, célebre médecin de Londres.

Les écrivains modernes, qui ont traité de la peinture antique, nous rendent plus savans, sans nous rendre plus capables de juger la question de la supériorité des peintres de l’antiquité sur les peintres modernes. Ces écrivains se sont contentés de ramasser les passages des auteurs anciens qui parlent de la Peinture, & de les commenter en philologues, sans les expliquer par l’examen de ce que nos peintres font tous les jours, & même sans appliquer ces passages aux morceaux de la peinture antique qui subsistent encore. Ainsi, pour se former une idée aussi distincte de la peinture antique qu’il soit possible de l’avoir, il faudroit considérer séparément ce que nous pouvons savoir de certain sur la composition, sur l’expression & sur le coloris des peintres de l’antiquité.

A l’égard de la composition pittoresque, il faut avouer que dans les monumens qui nous restent, les peintres anciens ne paroissent pas supérieurs à Raphaël, à Rubens, à Paul Veronèse & à M. le Brun ; mais il ne faut pas dire la même chose de l’excellence des anciens dans la composition poétique : comme ils étoient grands dessinateurs, ils avoient toutes sortes de facilités pour y réussir, & nous ne pouvons douter qu’ils n’y ayent excellé. Les tableaux d’Aristide parloient aux yeux. Les auteurs qui nous en parlent avec tant de goût & de sentiment, ne pouvoient pas se tromper en jugeant de l’expression dans les tableaux ; c’est par-là qu’Ausone loue si bien la Médée de Timomaque. On sait avec quelle affection Pline vante le tableau du sacrifice d’Iphigénie. On connoît la belle description du tableau d’Ætion qui représentoit le mariage d’Alexandre & de Roxane, le tableau de Zeuxis représentant la famille d’un centaure, & tant d’autres qui prouvent que cette parsie de l’art étoit portée au plus haut point de perfection par les peintres de l’antiquité. Voyez Peintres anciens.

Il suffit de voir l’Antinoüs, la Vénus de Médicis & plusieurs autres monumens semblables, pour être convaincu que les anciens savoient du moins aussi-bien que nous dessiner élégamment & correctement. Leurs peintres avoient mille occasions que les nôtres ne peuvent avoir, d’étudier le nud ; & les exercices qui étoient alors en usage pour dénouer & pour fortifier les corps, les devoient rendre mieux conformés qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Comme le tems a éteint les couleurs, & confondu les nuances dans les fragmens qui nous restent de la peinture antique faite au pinceau, nous ne saurions juger à quel point les peintres de l’antiquité ont excellé dans le coloris, ni s’ils ont surpassé les grands maîtres de l’école lombarde dans cette aimable partie de la Peinture. Il y a plus, nous ignorons si la Noce de la vigne aldobrandine & les autres morceaux sont d’un grand coloriste, ou d’un artiste médiocre de ce tems-là. Ce qu’on peut dire de certain sur leur exécution, c’est qu’elle est très-hardie. Ces morceaux paroissent l’ouvrage d’artistes aussi maîtres de leur pinceau, que Rubens & Paul Veronese l’étoient du leur. Les touches de la Noce aldobrandine qui sont très-heurtées, & qui paroissent même grossieres quand elles sont vues de près, font un effet merveilleux quand on regarde ce tableau à la distance