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de vingt pas. C’étoit sans doute de cette distance qu’il étoit vu sur le mur où le peintre l’avoit fait. Voyez Noce aldobrandine.

Il semble que les récits de Pline, & ceux de plusieurs auteurs anciens doivent nous convaincre que les Grecs & les Romains excelloient dans le coloris : mais avant que de se laisser persuader, il est bon de faire la réflexion que les hommes parlent ordinairement du coloris par comparaison à ce qu’ils peuvent avoir vu. On ne sauroit donc décider notre question sur des récits. Il faudroit, pour la juger sans réplique, avoir des pieces de comparaison, & elles nous manquent.

Pour ce qui concerne le clair-obscur, & la distribution enchanteresse des lumieres & des ombres, ce que Pline & les autres écrivains de l’antiquité en disent, est si positif ; leurs récits sont si bien circonstanciés & si vraissemblables, qu’on ne sauroit disconvenir que les anciens n’égalassent du moins dans cette partie de l’art les plus grands peintres modernes. Les passages de ces auteurs que nous ne comprenions pas bien quand les peintres modernes ignoroient encore quels prestiges on peut faire avec le secours de cette magie, ne sont plus si difficiles à entendre depuis que Rubens, ses éleves, Polidore de Caravage & d’autres peintres les ont bien mieux expliqués, les pinceaux à la main, que les commentateurs les plus érudits ne le pouvoient faire dans des livres.

Il paroît résulter de cette discussion que les anciens avoient poussé la partie du dessein, du clair obscur, de l’expression & de la composition poétique du moins aussi loin que les modernes les plus habiles peuvent l’avoir fait. Il paroît encore que nous ne saurions juger de leur coloris ; mais que nous connoissons suffisamment par leurs ouvrages, supposé que nous ayons les meilleurs, que les anciens n’ont pas réussi dans la composition pittoresque aussi bien que Raphaël, Rubens, Paul Veronèse & quelques autres peintres modernes.

Les anciens ont très-bien connu la perspective & la projection des ombres ; cependant plusieurs modernes semblent tâcher de rabaisser les lumieres des anciens en ce genre, ou du moins de rabattre de leur gloire. à proportion de ce qu’ils ont bien voulu en accorder à leurs statuaires : mais ce jugement n’est pas équitable ; il faut considérer qu’il nous reste très-peu de peintures anciennes, & celles-là même ne sont pas de la premiere beauté, ni des grands maîtres de l’art. La fortune peut avoir contribué autant que le tems à ce desastre ; car, dit Cicéron, quoique l’injure des ans, les outrages du sort & la vétusté fassent tout périr, ces causes néanmoins sont bien davantage & plutôt funestes à la peinture qu’à la sculpture : il arrive même souvent que dans cette perte commune, ce qu’il y a de meilleur disparoît, & ce qu’il y a de plus imparfait reste. Les hommes de notre siecle, continue-t-il, enchantés à la vue des peintures nouvelles, ne font attention qu’à ce qui frappe leurs yeux, & pensent bien moins favorablement de ce qu’ils ne voient pas, parce que leur imagination n’en est point réveillée.

J’ajoute qu’il convient encore de distinguer ici ; car il est sûr qu’il faut avoir une autre idée des peintures grecques, que de celles des Latins. Rome ne cultiva les arts qu’après bien des siecles, & leurs artistes en peinture ne furent jamais comparés aux artistes de la Grece.

Mais quant à ceux-ci, le temoignage des anciens, & même le peu d’ouvrages qui nous restent d’eux, laissent peu de choses à desirer sur la perfection de leur art en ce genre. Enfin les auteurs s’accordent tous à nous en donner des exemples qui ne peuvent convenir qu’à des peintres du premier ordre. Apelle, disent-ils, étoit distingué par la délicatesse & la grace

infinie de son pinceau ; quelques-uns, comme Asclépiodore, l’emportoient sur lui par la disposition des figures & l’harmonie générale du tableau ; Apelle cependant les effaçoit tous. Protogène, Pampluile, Mélanthius, Antiphile, Ætion ont tous été célebres ; le premier par son exactitude, le second & le troisieme par leur composition, le quatrieme par sa facilité & le cinquieme par sa belle imagination. Mais pourquoi nous arrêter à ces détails, puisque l’histoire que nous avons donnée des peintres grecs n’est qu’une preuve répétée de cette vérité. Voyez donc Peintres grecs & Peinture des Grecs. (Le Chevalier de Jaucourt.)

Peinture des Grecs, (Peinture antique.) c’est le genre de peinture le plus admirable de l’antiquité.

Après avoir fait en général une espece de parallele de la peinture antique avec la moderne, il importe de considérer en particulier celle des Grecs, puisqu’elle seule mérite principalement nos regards. Je sai que son origine n’offre qu’incertitude : incertitude pour le lieu ; les uns vouloient qu’elle eût commencé à Sycione, les autres chez les Corinthiens : incertitude pour le nom des inventeurs ; on nommoit ou Philoclés d’Egypte, ou Cléanthe de Corinthe : incertitude sur l’opération primitive qu’ils employerent, & qui servit de préparation à la véritable découverte de l’art.

On disoit à la vérité que ce début fut le contour d’une figure humaine, tracée autour de l’ombre d’un corps opaque ; mais quand on n’a rien à dire de mieux circonstancié sur un fait de cette nature, qui se perd dans l’obscurité des tems, c’est se fonder sur des conjectures plûtôt que sur des témoignages authentiques. On ne pouvoit pourtant mieux faire dans l’histoire inconnue de l’origine d’un art, que de partir d’une hypothèse assez vraissemblable, ou du-moins accréditée.

A la délinéation du simple contour, succéda une autre peinture linéaire plus parfaite, qui distingua par le dessein, & sans aucune couleur, les traits du visage renfermés dans l’intérieur du contour. Elle eut pour inventeur Ardicès de Corinthe, & Téléphane de Sicyone. Ces deux auteurs des portraits dessinés, urent les premiers qui exercerent l’art de représenter la figure sur une surface égale & unie. En effet, la méthode du contour extérieur ne marquant pas les traits du visage, & ne rendant point la personne reconnoissable, ne représentoit point la figure. Les deux artistes que nous venons de nommer, furent aussi les premiers qui écrivirent sur leurs ouvrages le nom de la personne représentée. La précaution auroit été fort inutile dans la premiere méthode, qui ne représentant point la figure, n’auroit excité par l’addition du nom, ni la curiosité de la postérité, ni celle des étrangers, ni finalement celle de personne. Tels étoient les usages préliminaires de la peinture grecque avant la guerre de Troie.

Dans la suite, les Grecs employerent la peinture proprement dite, la peinture coloriée ; & il paroît au rapport de Pline, qu’elle n’étoit point encore connue dans le tems de la guerre de Troie. Cette opinion, qu’on ne trouve combattue par aucun ancien auteur, est d’un très-grand poids ; elle n’étoit pas seulement appuyée sur le silence d’Homcre, puisque nous voyons en général les anciens écrivains admettre dans les tems héroïques plusieurs faits historiques dont le poëte n’avoit jamais fait mention. Le témoignage de ceux qui nous ont transmis celui-ci, doit donc avoir toute la force d’une preuve positive, malgré les efforts qu’ont faits quelques savans modernes pour tâcher de la réfuter.

Après qu’on eut inventé en Grece la peinture coloriée, plus recherchée que l’autre dans ses opérations, elle fut appellée peinture monochrome, parce