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bler à Pline, & de n’avoir point de goût exclusif.

Il nous marque un progrès dans la curiosité des particuliers & du public pour la Peintute, vers l’an 75, en disant que l’orateur Hortensius, après avoir acheté les Argonautes de Cydias cent quarante-quatre mille sesterces (vingt-huit mille cent dix livres), fit bâtir dans sa maison de Tusculum, une chapelle exprès pour ce tableau, & que le forum étoit déjà garni de divers ouvrages de Peinture, dans le tems où Crassus, avant de parvenir aux grandes magistratures, se distinguoit dans le barreau.

Pour l’année 70, on trouve une apparence de contrariété entre la chronologie de Ciceron & celle de Pline, sur l’âge de Timomachus de Byzance, peintre encaustique. Ciceron écrivoit en cette année-là son quatrieme discours contre Verrès : il y parle de quelques tableaux, parmi un grand nombre d’ouvrages de Sculpture enlevés à la Sicile, & transportés à Rome par l’avide préteur. « Que seroit-ce, dit-il à l’occasion de ces tableaux, si l’on enlevoit aux habitans de Cos leur Vénus, à ceux d’Ephese leur Alexandre, à ceux de Cyzique leur Ajax ou leur Médée » ? Cet Ajax & cette Médée sont visiblement l’Ajax & la Médée que Jules-César acheta depuis à Cyzique. Or selon Pline, la Médée étoit demeurée imparfaite par la mort de Timomachus, antérieure à l’an 70 ; &, selon le même écrivain, Timomachus fut contemporain de César dictateur, en l’an 49. Telle est la difficulté, qui disparoîtra, si l’on veut considérer que Timomachus a pu mourir vers l’an 69, environ 20 ans avant la dictature de César, & avoir été contemporain de César, mais contemporain plus ancien. L’expression de Pline, Cæsaris dictatoris ætate, signifie donc dans le tems de César celui qui fut dictateur, & non pas dans le tems que César étoit dictateur.

Il faut souvent faire ces sortes d’attentions dans la chronologie de Pline, où le titre des magistratures désigne quelquefois l’époque des événemens, & quelquefois la seule distinction des personnes d’un même nom que des lecteurs pourroient confondre. Le titre de dictateur qu’il donne par-tout à César, est de cette derniere espece ; mais il y a d’autres exemples où par les titres de préteur, d’édile ou d’imperator, il indique habilement les dates que sa méthode élégante & précise ne lui permettoit pas de spécifier plus particulierement.

Le préteur Marcius Junius (c’étoit l’an 67) fit placer dans le temple d’Apollon, à la solemnité des jeux apollinaires, un tableau d’Aristide le thébain. Un peintre ignorant qu’il avoit chargé immédiatement avant le jour de la fête de nettoyer le tableau, en effaça toute la beauté.

Dans le même tems, Philiscus s’acquit de l’honneur à Rome par un simple tableau dans lequel il représentoit tout l’attelier d’un peintre, avec un petit garçon qui souffloit le feu.

Les édiles Varron & Muréna (c’étoit l’an 60) firent transporter à Rome, pour l’embellissement du comice, des enduits de peinture à fresque, qu’on enleva de dessus des murailles de brique à Lacédémone, & qu’on enchâssa soigneusement dans des quadres de bois, à cause de l’excellence des peintures : ouvrage admirable par lui-même, ajoute Pline, il le fut bien plus encore par la circonstance du transport.

Pendant l’édilité de Scaurus en l’an 58, on vit des magnificences qui nous paroîtroient incroyables sans l’autorité de Pline, & incompréhensibles sans les explications de M. le comte de Caylus sur les jeux de Curion, qui suivirent d’assez près ceux de Scaurus. Pour ne parler que de la peinture, Scaurus fit venir de Sicyone, où l’art & les artistes avoient fixé depuis long-tems leur principal séjour, tous les tableaux qui pouvoient appartenir au public & que les habitans vendirent pour acquitter les dettes de la ville.

Les factions qui régnoient dès-lors dans Rome & qui renverserent bientôt la république, engagerent Varron & Atticus à se livrer totalement à leur goût pour la littérature & pour les beaux-arts. Atticus, le fidele ami de Cicéron, donna un volume avec les portraits dessinés de plusieurs illustres personnages, & Varron distribua dans tous les endroits de l’empire romain un recueil de sept cens figures pareillement dessinées avec le nom de ceux qu’elles représentoient. Le même Varron attestoit l’empressement du peuple romain pour d’anciens restes de peinture. Quand on voulut réparer le temple de Cérès, que Démophile & Gorgasus avoient autrefois orné d’ouvrages de peinture & de plastique, on détacha des murs les peintures à fresque, & on eut soin de les encadrer ; on dispersa aussi les figures de plastique.

Jules César parvenu à la dictature l’an 49, augmenta de beaucoup l’attention & l’admiration des Romains pour la Peinture, en dédiant l’Ajax & la Médée de Timomachus à l’entrée du temple de Vénus Génitrix : ces deux tableaux lui couterent 80 talens, (376 mille livres). En l’année 44, qui fut celle de la mort de César, Lucius Munacius Plancus ayant reçu le titre d’imperator, exposa au capitole le tableau de Nicomachus où étoit représentée l’image de la Victoire, conduisant un quadrige au milieu des airs. Observons que dans tous ces récits qui regardent Rome, ce sont des peintres grecs qu’on y voit paroître ; l’auteur nomme cependant pour ces tems-ci Arellius, peintre romain, qu’il place peu avant le regne d’Auguste. Arrêtons-nous donc sur ce peintre de Rome.

Pline nous donne son portrait en ces mots : Romæ celeber fuit Arellius, nisi flagitio insigni corrupisset artem, semper alicujus fæminæ amore flagrans, & ob id deas pingens, sed dilectarum imagine, l. XXXV. c. 10. Il faisoit toujours les déesses semblables aux courtisanes, dont il étoit amoureux. On sait que Flora étoit si belle, que Cécilius Metellus la fit peindre, afin de consacrer son portrait dans le temple de Castor & de Pollux.

On a remarqué que ce ne fut ni la premiere, ni la derniere fois que le portrait d’une courtisane reçut un pareil honneur. La Vénus sortant des eaux étoit ou le portrait de Campaspe maîtresse d’Alexandre le grand, selon Pline, ou bien celui de la courtisane Phryné, selon Athénée, l. XIII. Auguste le consacra dans le temple de Jules César. Les parties inférieures en étoient gâtées, & personne ne fut capable de les rétablir, le tems acheva de ruiner le reste ; alors on fit faire une autre Vénus par Dorothée, & on la substitua à celle d’Apelle. Pendant que Phryné fut jeune, elle servit d’original à ceux qui peignoient la déesse des amours. La Vénus de Gnide fut encore tirée sur le modele d’une courtisane que Praxitele aimoit éperdument. Arellius n’est donc pas le seul peintre ancien qui peignit les déesses d’après quelques-unes de ses maîtresses.

Le Christianisme n’est pas exemt de cette pratique, nous avons plus d’une Vierge peinte par les modernes d’après leurs propres amantes. M. Spon, dans ses miscellannées antiq. érudit. p. 13, rapporte l’explication d’une médaille de l’empereur Julien, sur laquelle on voit d’un côté Sérapis qui ressemble parfaitement à Julien, & de l’autre la figure d’un Hermanubis. Il n’étoit point rare de voir des statues d’hommes toutes semblables à celles de quelques dieux. La flatterie ou la vanité ont souvent produit cette idée.

Justin martyr dit, en se moquant des païens, qu’ils adoroient les maîtresses de leurs peintres & les mignons de leurs sculpteurs : mais n’a-t-on pas tort de rendre les païens responsables des traits d’un Zeuxis ou d’un Lysippe ? Ceux qui, parmi les Chrétiens, vénerent les images de S. Charles Borromée, ne véne-