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des contours & dans le beau jet des draperies. Les peintres savoient arranger les figures d’un tableau, sans savoir les disposer suivant les regles de la composition pittoresque aujourd’hui si connues. Avant Raphaël & ses contemporains, le martyre d’un saint ne touchoit aucun des spectateurs. Les assistans que le peintre introduisoit à cette action tragique, n’étoient là que pour remplir l’espace de la toile, que le saint & les bourreaux laissoient vuide.

A la fin du quinzieme siecle, la Peinture qui s’acheminoit vers la perfection à pas si tardifs, que sa progression étoit imperceptible, y marcha tout-à-coup à pas de géant. La Peinture encore gothique commença les ornemens de plusieurs édifices, dont les derniers embellissemens sont les chefs-d’œuvre de Raphaël & de ses contemporains.

Le prodige qui arrivoit à Rome arrivoit en même tems à Venise, à Florence, & dans d’autres villes d’Italie. Il y sortoit de dessous terre, pour ainsi dire, des hommes illustres à jamais dans leurs professions, & qui tous valoient mieux que les maîtres qui les avoient enseignés ; des hommes sans précurseurs, & qui étoient les éleves de leur propre génie. Venise se vit riche tout-à-coup en peintres excellens, sans que la république eût fondé de nouvelles académies, ni proposé aux peintres de nouveaux prix. Les influences heureuses qui se répandoient alors sur la Peinture, furent chercher au commencement du seizieme siecle, le Corrége dans son village, pour en faire un grand peintre d’un caractere particulier.

Toutes les écoles qui se formoient alloient au beau par des routes différentes. Leurs manieres ne se ressembloient pas, quoiqu’elles fussent si bonnes qu’on seroit fâché que chaque école n’eût pas suivi la sienne. Le nord reçut aussi quelques rayons de cette influence. Albert Durer, Holbein, & Lucas de Leyde, peignirent infiniment mieux qu’on ne l’avoit encore fait dans leur pays.

Cependant dans le même climat où la nature avoit produit libéralement & sans secours extraordinaire les peintres fameux du siecle de Léon X. les récompenses, les soins de l’académie de S. Luc, établie par Grégoire XIII. & Sixte V. l’attention des souverains, enfin tous les efforts des causes morales, n’ont pu donner une postérité à ces grands artistes nés sans ancêtres. L’école de Venise & celle de Florence dégénérerent & s’anéantirent en soixante ou quatre-vingts ans. Il est vrai que la Peinture se maintint à Rome en splendeur durant un plus grand nombre d’années. Au milieu du siecle dernier, on y voyoit même de grands maîtres : mais ces grands maîtres étoient des étrangers, tels que le Poussin, les éleves des Carraches, qui vinrent faire valoir à Rome les talens de l’école de Boulogne, & quelques autres.

Le Poussin en trente années de travail assidu dans un attelier placé au milieu de Rome, ne forma point d’éleve qui se soit acquis de nom dans la Peinture, quoique ce grand artiste fût aussi capable d’enseigner son art, qu’aucun maître qui jamais l’ait professé. Dans la même ville, mais en d’autres tems, Raphaël mort aussi jeune que l’étoient ses éleves, avoit formé dans le cours de dix ou douze années une école de cinq ou six peintres, dont les ouvrages font toujours une partie de la gloire de Rome.

Enfin toutes les écoles d’Italie, celles de Venise, de Rome, de Parme & de Boulogne, où les artistes supérieurs se multiplierent si facilement & si promptement, en sont aujourd’hui dénuées. Le singulier est que ce fut dans des tems de prospérité que toutes ces écoles s’appauvrirent de bons sujets, & qu’elles tomberent en décadence : comme leur midi, ajoute ici l’abbé Dubos, s’étoit trouvé fort près de leur levant, leur couchant ne se trouva point bien éloigné de leur midi.

La Peinture qui avoit commencé à naître en Flandres sous le pinceau de Jean de Bruges, y resta dans un état de médiocrité jusqu’au tems de Rubens, qui sur la fin du seizieme siecle en releva la gloire par ses talens & par ses ouvrages. Alors la ville d’Anvers devint l’Athenes du pays au-delà des monts ; mais son éclat fut de courte durée. Si Rubens laissa des éleves comme Vandick, Jordans, Dispenbeck, Van-Tulden, qui font honneur à sa réputation, ces éleves sont morts sans disciples qui les aient remplacés. L’école de Rubens a eu le sort des autres écoles, je veux dire qu’elle est tombée, quand tout paroissoit concourir à la soûtenir. Milé en peut être regardé comme son dernier peintre.

Il sembloit que la Peinture qui a passé en France plus tard qu’ailleurs, vouloit y fixer un empire plus durable. Il est vrai qu’il ne tint pas à Francois I. de la faire fleurir dans le bon tems : il s’en déclara le protecteur. On sait avec quelle générosité il payoit les tableaux qu’il commandoit à Raphaël. Ses libéralités attirerent des peintres étrangers dans son royaume ; il combla de faveurs, & l’on peut dire d’amitié, le Rono & André del Sarto. Il reçut les derniers soupirs de Léonard de Vinci ; mais tous ces grands maîtres moururent sans éleves, du-moins dignes d’eux. C’est proprement sous Louis XIV. que la Peinture commença de paroître dans ce royaume avec le Poussin. La France a eu sous son regne des peintres excellens en tout genre, quoique ce ne soit pas dans cette profusion qui fait une des richesses de l’Italie. Cependant sans nous arrêter à un le Sueur, qui n’eut d’autres maîtres que lui-même, à un le Brun qui égala les Italiens dans le dessein & dans la composition, à un le Moine qui ne leur est guere inférieur, j’ai nommé dans un des volumes de ce Dictionnaire près de vingt peintres françois, qui ont laissé des morceaux si dignes de recherche, que les étrangers commencent à nous les enlever.

Je n’allegue point en faveur de la Peinture françoise les académies établies par Colbert pour l’encouragement de cet art. Le génie de la nation, ses richesses, les immenses collections de tableaux d’Italie amassées par Louis XIV. par M. le Duc d’Orléans, & par des particuliers, ont favorisé plus que les académies le goût de cet art dans le royaume. D’ailleurs ces fantômes de passions, si je puis parler ainsi, que la Peinture sait exciter, en nous émouvant par les imitations qu’elle nous présente, satisfont merveilleusement à ce genre de luxe, à notre desœuvrement, à notre ennui, & au besoin où nous sommes d’être occupés par le spectacle des Beaux-Arts. Mais enfin notre décadence à tant d’égards prévûe il y a plus de soixante ans par M. de Fontenelle, ne commence-t-elle pas à se vérifier sur la Peinture ?

Le bon tems de celle des Hollandois est aussi passé ; encore faut-il convenir que quoique leur peinture soit admirable par le beau fini, la propreté, le moëlleux & la parfaite intelligence du clair obscur ; cependant elle ne s’est jamais élevée dans l’Histoire, & n a jamais réussi dans ces deux parties de l’ordonnance d’un tableau, que nous appellons composition poétique & composition pittoresque.

Depuis deux siecles les Anglois aiment la Peinture autant & plus qu’aucune autre nation, si l’on en excepte l’italienne. On sait avec quelle magnificence ils récompensent les peintres étrangers qui s’établissent chez eux, & quel prix ils mettent aux beaux ouvrages de Peinture. Cependant leur terroir n’a point produit de peintres d’un ordre supérieur, tandis que leurs poëtes tiennent un rang si distingué parmi ceux des autres peuples. On voit à Londres dans l’hôpital des enfans trouvés des tableaux d’histoire faits par MM. Hayman, Hogarth, Wills, Highmore, qui prouvent seulement que ces divers artistes possé-