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objets. Sensation, cette même impression entant qu’elle vient par les sens. Conscience, la connoissance qu’on en prend. Idée, la connoissance qu’on en prend comme image. Notion, toute idée qui est notre propre ouvrage. On ne peut prendre indifféremment l’un pour l’autre, qu’autant qu’on n’a besoin que de l’idée principale qu’ils signifient. On peut appeller les idées simples indifféremment perceptions ou idées, mais on ne doit pas les appeller notions, parce qu’elles ne sont pas l’ouvrage de l’esprit. On ne doit pas dire la notion du blanc, mais la perception du blanc. Les notions à leur tour peuvent être considérées comme images ; on peut par conséquent leur donner le nom d’idées, mais jamais celui de perception : ce seroit faire entendre qu’elles ne sont pas notre ouvrage. On peut dire la notion de la hardiesse, & non la perception de la hardiesse ; ou, si l’on veut faire usage de ce terme, il faut dire, les perceptions qui composent la notion de la hardiesse.

Une chose qu’il faut encore remarquer sur les mots d’idée & de notion, c’est que le premier signifiant une perception considerée comme image, & le second une idée que l’esprit a lui-même formée, les idées & les notions ne peuvent appartenir qu’aux êtres qui sont capables de réflexion. Quant aux bêtes, si tant est qu’elles pensent & qu’elles ne soient point de purs automates, elles n’ont que des sensations & des perceptions ; & ce qui n’est pour elles qu’une perception, devient idée à notre égard, par la réflexion que nous faisons que cette perception représente quelque chose. Voyez tous ces mots chacun à son article.

Pensée, Sentiment, Opinion, (Synon. Gram.) Ils sont tous les trois d’usage lorsqu’il ne s’agit que de la simple énonciation de ses idées : en ce sens, le sentiment est le plus certain ; c’est une croyance qu’on a par des raisons ou solides ou apparentes. L’opinion est la plus douteuse ; c’est un jugement qu’on fait avec quelque fondement. La pensée est moins fixe & moins assurée, elle tient de la conjecture. On dit rejetter & soutenir un sentiment, attaquer & défendre une opinion, desapprouver & justifier une pensée.

Le mot de sentiment est plus propre en fait de goût ; c’est un sentiment général qu’Homere est un excellent poëte. Le mot d’opinion convient mieux en fait de science : l’opinion commune est que le soleil est au centre du monde. Le mot de pensée se dit plus particulierement, lorsqu’il s’agit de juger des événemens des choses ou des actions des hommes ; la pensée de quelques politiques est que le moscovite trouveroit mieux ses vrais avantages du côté de l’Asie, que du côté de l’Europe.

Les sentimens sont un peu soumis à l’influence du cœur ; il n’est pas rare de les voir conformes à ceux des personnes qu’on aime. Les opinions doivent beaucoup à la prévention ; il est d’ordinaire aux écoliers de tenir celles de leurs maitres. Les pensées tiennent assez de l’imagination ; on en a souvent de chimériques. Synonymes françois. (D. J.)

Pensée, (Art orat.) La pensée en général est la représentation de quelque chose dans l’esprit, & l’expression est la représentation de la pensée par la parole.

Les pensées doivent être considérées dans l’art oratoire comme ayant deux sortes de qualités : les unes sont appellées logiques, parce que c’est la raison & le bon sens qui les exigent ; les autres sont des qualités de goût, parce que c’est le goût qui en décide. Celles-là sont la substance du discours, celles-ci en sont l’assaisonnement.

La premiere qualité logique essentielle de la pensée, c’est qu’elle soit vraie, c’est-à-dire, qu’elle représente la chose telle qu’elle est. A cette premiere qualité tient la justesse. Une pensée parfaitement vraie, est juste. Cependant l’usage met quelque différence

entre la vérité & la justesse de la pensée : la vérité signifie plus précisément la conformité de la pensée avec l’objet ; la justesse marque plus expressément l’étendue. La pensée est donc vraie quand elle représente l’objet : & elle est juste, quand elle n’a ni plus ni moins d’étendue que lui.

La seconde qualité est la clarté. Peut-être même est-ce la premiere ; car une pensée qui n’est pas claire n’est pas proprement une pensée. La clarté consiste dans la vûe nette & distincte de l’objet qu’on se représente, & qu’on voit sans nuage, sans obscurité : c’est ce qui rend la pensée nette. On le voit séparé de tous les autres objets qui l’environnent : c’est ce qui la rend distincte.

La premiere chose qu’on doit faire, quand il s’agit de rendre une pensée, est donc de la bien reconnoître, de la démêler d’avec tout ce qui n’est point elle, d’en saisir les contours & les parties. C’est à quoi se réduisent les qualités logiques des pensées ; mais pour plaire, ce n’est pas assez d’être sans défaut, il faut avoir des graces ; & c’est le goût qui les donne. Ainsi tout ce que les pensées peuvent avoir d’agrément dans un discours, vient de leur choix & de leur arrangement. Toutes les regles de l’élocution se réduisent à ces deux points, choisir & arranger. Etendons ces idées d’après l’auteur des principes de la Littérature ; on en trouvera les détails instructifs.

Dès qu’un sujet quelconque est proposé à l’esprit, la face sous laquelle il s’annonce produit sur le champ quelques idées. Si l’on en considere une autre face, ce sont encore d’autres idées ; on pénetre dans l’intérieur ; ce sont toujours de nouveaux biens. Chaque mouvement de l’esprit fait éclorre de nouveaux germes : voilà la terre couverte d’une riche moisson. Mais dans cette foule de productions, tout n’est pas le bon grain.

Il y a de ces pensées qui ne sont que des lueurs fausses, qui n’ont rien de réel sur quoi elles s’appuient. Il y en a d’inutiles, qui n’ont nul trait à l’objet qu’on se propose de rendre. Il y en a de triviales, aussi claires que l’eau, & aussi insipides. Il y en a de basses, qui sont au-dessous de la dignité du sujet. Il y en a de gigantesques qui sont au-dessus : toutes productions qui doivent être mises au rebut.

Parmi celles qui doivent être employées, s’offrent d’abord les pensées communes, qui se présentent à tout homme de sens droit, & qui paroissent naître du sujet sans nul effort. C’est la couleur fonciere, le tissu de l’étoffe. Ensuite viennent les pensées qui portent en soi quelque agrément, comme la vivacité, la force, la richesse, la hardiesse, le gracieux, la finesse, la noblesse, &c. car nous ne prétendons pas faire ici l’énumération complette de toutes les especes de pensées qui ont de l’agrément.

La pensée vive est celle qui représente son objet clairement, & en peu de traits. Elle frappe l’esprit par sa clarté, & le frappe vîte par sa briéveté. C’est un trait de lumiere. Si les idées arrivent lentement, & par une longue suite de signes, la secousse momentanée ne peut avoir lieu. Ainsi quand on dit à Médée : que vous reste-t-il contre tant d’ennemis ? elle répond, moi : voilà l’éclair. Il en est de même du mot d’Horace, qu’il mourût.

La pensée forte n’a pas le même éclat que la pensée vive, mais elle s’imprime plus profondément dans l’esprit ; elle y trace l’objet avec des couleurs foncées ; elle s’y grave en caracteres ineffaçables. M. Bossuet admire les pyramides des rois d’Egypte, ces édifices faits pour braver la mort & le tems ; & par un retour de sentiment, il observe que ce sont des tombeaux : cette pensée est forte. La beauté s’envole avec la jeunesse ; l’idée du vol peint fortement la rapidité de la fuite.

La pensée hardie a des traits & des couleurs extraor-