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le poil noir ; leur vêtement est une tunique de coton ou de soie, large, qui descend jusqu’au gras de la jambe, & qu’ils ceignent d’une écharpe, sur laquelle les gens très-riches mettent une belle ceinture. Ils ont sous cette tunique quand ils sortent, une veste de soie de plusieurs couleurs ; leurs chausses sont de coton, faites comme des caleçons ; leurs souliers sont pointus au bout, & ont le quartier fort bas. Ils se peignent les ongles d’une couleur orangée ; leur turban est de toile de coton fine, rayée, de différentes couleurs, & qui fait plusieurs tours ; les grands du royaume portent des bonnets fourrés, ordinairement rouges. La coëffure de leurs prêtres est blanche, & leur robe est de la même couleur.

Les femmes opulentes sont brillantes dans leur habillement ; elles n’ont point de turban, mais leur front est couvert d’un bandeau d’or émaillé, large de trois doigts, & chargé de pierreries ; leur tête est couverte d’un bonnet brodé d’or, environné d’une écharpe très-fine, qui voltige & descend jusqu’à la ceinture ; leurs cheveux sont tressés, & pendent par derriere ; elles portent au col des colliers de perles ; elles ne mettent point de bas, parce que leurs caleçons descendent jusqu’au-dessous de la cheville du pié ; l’hyver elles ont des brodequins richement brodés ; elles se servent comme les hommes de pantoufles de chagrin ; elles peignent en rouge leurs ongles & le dedans des mains ; elles se noircissent les yeux avec de la tuthie, parce que les yeux noirs sont les plus estimés en Perse.

La dépense du ménage chez les Persans est fort médiocre, pour la cave & la cuisine ; la toile de coton dont les bourgeois s’habillent est à grand marché ; les meubles consistent en quelques tapis ; le riz fait la nourriture de toute l’année ; le jardin fournit le fruit, & le premier ruisseau tient lieu de cave.

L’éducation consiste à aller à l’école pour y apprendre à lire & à écrire ; les metzides ou mosquées qui servent pour la priere, servent aussi pour les écoles ; tout le monde écrit sur le genou, parce qu’on n’a point en Perse l’usage des tables, ni des siéges ; le papier se fait de chiffons de coton ou de soie ; on unit ce papier avec une polissoire pour en ôter le poil.

La langue persane tient beaucoup de l’arabe, s’apprend aisément, & se prononce un peu du gosier ; mais la plûpart des Persans apprennent avec leur langue celle des Turcs qui est familiere à la cour. Ils étudient encore dans leurs colleges l’Arithmétique, la Médecine, l’Astronomie, ou plutôt l’Astrologie.

Le royaume est un état monarchique, despotique ; la volonté du monarque sert de loi. Il prend le titre de sophi, & en qualité de fils de prophete ; il est en même tems le chef de la religion. Les enfans légitimes succedent à la couronne ; à leur défaut, on appelle les fils des concubines : s’il ne se trouve ni des uns, ni des autres, le plus proche des parens du côté paternel, devient roi. Ce sont comme les princes du sang, mais la figure qu’ils font est bien triste ; ils sont si pauvres, qu’ils ont de la peine à vivre. Les fils du sophi sont encore plus malheureux ; ils ne voient jamais le jour que dans le fond du serrail, d’où ils ne sortent pas du vivant du roi. Il n’y a que le successeur au trône qui ait ce bonheur ; & la premiere chose qu’il fait, est de priver ses freres de l’usage de la vûe, en leur faisant passer un fer rouge devant les yeux, pour qu’ils ne puissent aspirer à la couronne.

Après le sophi, les grands pontifes de la religion mahométane tiennent le premier rang à sa cour ; ils sont au nombre de quatre. Le premier pontife de Perse s’appelle sadre-cassa, il est le chef de l’empire pour le spirituel, gouverne seul la conscience du roi, & regle la cour & la ville d’Hispahan, selon les regles de l’alcoran. Il est tellement révéré, que les rois

prennent ordinairement les filles des Sadres pour femmes ; il commet le second pontife pour avoir soin du reste du royaume, & établit des vicaires dans toutes les villes capitales des provinces. On lui donne la qualité de Nabab, qui veut dire, vicaire de Mahomet & du roi.

Il y a six ministres d’état pour le gouvernement du royaume, & chacun a son département ; on les appelle rhona-dolvet, c’est-à-dire les colonnes de l’empire. Le premier est le grand visir, appellé etmadoulet-itimad-ud-dewlet, c’est-à-dire l’appui de la puissance ; il est le chancelier du royaume, le chef du conseil, le sur-intendant des finances, des affaires étrangeres, & du commerce ; toutes les gratifications & les pensions, ne se payent que par son ordre. Je ne parlerai point des autres colonnes de l’état Persan ; c’est assez d’avoir nommé la principale.

L’usage des festins publics est bien ancien en Perse, puisque le livre d’Esther fait mention de la somptuosité du banquet d’Assuérus ; ceux que le sophi fait aujourd’hui par extraordinaire, sont toujours superbes, car on y étale ce qu’il y a de plus précieux dans sa maison.

Toute la Perse est pour ainsi dire du domaine du roi, mais ses revenus consistent encore en impôts extraordinaires, & en douanes qu’il afferme ; les deux principales, sont celle du golfe Persique, & celle de Ghilan ; ces deux douanes sont affermées à environ 7 millions de notre monnoie. Les troupes de sa maison qui montent à quatorze mille hommes, sont entretenus sur les terres du domaine ; celles qu’il emploie pour couvrir ses frontieres, peuvent monter à cent mille cavaliers, qui sont aussi entretenus sur le domaine. Le roi de Perse n’a point d’infanterie reglée ; il n’a point non plus de marine ; il ne tiendroit qu’à lui d’être le maître du golfe d’Ormus, de la mer d’Arabie, & de la mer Caspienne ; mais les Persans détestent la navigation.

Leur religion est la mahométane, avec cette différence des Musulmans, qu’ils regardent Ali, pour le successeur de mahomet ; au lieu que les musulmans prétendent que c’est Omar. De-là naît une haine irréconciliable entre les deux nations. L’ancienne religion des mages est entierement détruite en Perse ; on nomme ses sectateurs gawes, c’est-à-dire idolatres ; ces gawes n’ont cependant point d’idoles, & méprisent ceux qui les adorent ; mais ils sont en petit nombre, pauvres, ignorans & grossiers

Si la plûpart des princes de l’Asie ont coutume d’affecter des titres vains & pompeux, c’est principalement du monarque Persan, qu’on peut le dire avec vérité. Rien n’est plus plaisant que le titre qu’il met à la tête de ses diplomes ; il faut le transcrire ici par singularité.

« Sultan Ussein, roi de Perse, de Parthie, de Médie, de la Bactriane, de Chorazan, de Candahar, des Tartares Usbecks ; des royaumes d’Hircanie, de Draconie, de Parménie, d’Hidaspie, de Sogdiane, d’Aric, de Paropamize, de Drawgiane, de Margiane & de Caramanie, jusqu’au fleuve Indus : Sultan d’Ormus, de Larr, d’Arabie, de Susiane, de Chaldée, de Mésopotamie, de Géorgie, d’Arménie, de Circassie ; seigneur des montagnes impériales d’Ararac, de Taurus, du Caucase ; commandant de toutes les créatures, depuis la mer de Chorazan, jusqu’au golfe de Perse, de la famille d’Ali, prince des quatre fleuves, l’Euphrate, le Tigre, l’Araxe & l’Indus ; gouverneur de tous les sultans, empereur des musulmans, rejetton d’honneur, miroir de vertu, & rose de délices, &c. »

La Perse est située entre le 79 & le 108d de longitude, & entre le 25 & 42d de latitude. On la divise