Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/761

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plénitude, ou pléthore ad vires. C’est ainsi que Galien, en parlant de la plénitude, ch. iij. nous apprend qu’il y a deux sortes de pléthore, l’une qui affecte les forces & les facultés vitales, & l’autre les vaisseaux. Et dans son traité de la façon de traiter les maladies par la saignée, ch. vj. il dit « que plus une personne se sent pesante, plus la pléthore, eu égard aux forces, est considérable ; au lieu que celle des vaisseaux se manifeste par un sentiment de tension ».

On n’entend ordinairement la pléthore qu’en parlant des vaisseaux, & c’est dans ce sens que nous la considérons.

Cette espece de pléthore devient une vraie maladie. Cette quantité trop grande de sang reconnoît pour cause tout ce qui engendre beaucoup de chyle & de sang louable, & empêche en même tems l’atténuation & la dissipation de la transpiration ; car alors la recette étant plus grande que la dépense, il faut de nécessité que le sang s’amasse, qu’il stagne, qu’il croupisse, & qu’il produise la pléthore.

Les fonctions vitales & naturelles usent nécessairement les solides, & procurent la dissipation des fluides ; de sorte que l’on est obligé de les réparer tous deux par les alimens. Lorsqu’on rend tous les jours au corps autant de substance qu’il en perd, il resulte un parfait équilibre qui est le signe le plus parfait & le plus constant de la santé ; car Santorius a prouvé par plusieurs expériences que le corps est dans l’état le plus parfait où il puisse être lorsqu’il reprend tous les jours son poids ordinaire ; après que la digestion est faite, le corps répare ses pertes à l’aide d’un chyle louable, & d’un sang qui en est formé : lors donc qu’il s’engendre une plus grande quantité de chyle & de sang qu’il ne faut pour réparer la dissipation qui s’est faite, il arrive un amas de sucs superflus qui augmente à proportion de l’efficacité des fonctions.

Les causes de la pléthore sont la forte contraction des visceres & organes chyliferes du cœur & des arteres, & en même tems le relâchement des veines & des autres petits vaisseaux ; les alimens doux qui se changent aisément en chyle, le trop long sommeil, l’inaction des muscles, le défaut des évacuations ordinaires du sang, soit naturelles ou artificielles auxquelles on est accoutumé.

Depuis que l’homme a été condamné en punition de son péché, à manger son pain à la sueur de son visage, l’exercice du corps est devenu absolument nécessaire pour la conservation de sa santé ; aussi voit-on que ceux qui menent une vie oisive sont affligés des maladies les plus terribles.

Hippocrate nous apprend, dans son traité de la diete, liv. I. que tout homme qui mange ne sauroit se bien porter, s’il ne travaille à proportion de la nourriture qu’il prend ; car le travail est destiné à consumer ce qu’il y a de superflu dans le corps. Il ordonne dans le même traité, liv. III. d’examiner si la nourriture a excédé le travail, ou le travail la nourriture, ou s’ils sont l’un & l’autre dans la juste proportion ; car de leur inégalité naissent les maladies, comme la santé vient de leur équilibre & de leur égalité.

Il faut donc que l’équilibre entre la nourriture & le travail soit tel que la dissipation journaliere égale la quantité d’alimens dont on use ; car si l’on prend la même quantité de nourriture en même tems qu’on fait moins d’exercice, il faut nécessairement qu’il en résulte une pléthore. Lorsqu’on nourrit des chevaux dans une écurie sans les faire travailler, ils s’engraissent en peu de tems, mais on ne les a pas exercés pendant quelques jours, que leur embonpoint diminue.

Les femmes ont tous les mois une évacuation naturelle de sang superflu, de même que les hommes qui sont sujets au flux hémorrhoïdal ; ces évacuations font l’effet d’autant de saignées ; or on est convaincu

par expérience que plus un homme se fait saigner, pourvu que ses forces ne soient pas entierement affoiblies, plus ses vaisseaux se remplissent ; & les personnes accoutumées à des saignées réitérées, sont affligées vers le tems auquel elles avoient coutume d’user de la saignée, des mêmes maladies que les femmes dont les regles sont supprimées ; au moyen de quoi leurs forces dégénerent, & ils acquierent une habitude aussi lâche & aussi foible que celle des femmes.

Symptomes. Tous les phénomenes de la pléthore dépendent de la plénitude des vaisseaux, ou de la raréfaction qu’elle cause dans le sang ; ce qui provient sur-tout de l’augmentation de sa vélocité & de la chaleur qui en résulte, ou d’autres causes que l’on peut reconnoître par l’observation : de-là vient la force, la grandeur & la plénitude du pouls, la dilatation des vaisseaux tant sanguins que lymphatiques, le dérangement des secrétions, la compression des veines sanguines & lymphatiques, l’interruption de la circulation, l’inflammation & la rupture des vaisseaux, la suppuration, la gangrene & la mort.

Diagnostic. On est assuré de la présence de la pléthore, si les causes qui engendrent une trop grande quantité de sang louable, & dont on a parlé ci-devant, ont précédé ; si l’on apperçoit une grande rougeur par tout le corps, sur-tout dans les parties où les vaisseaux sont comme à découvert ; comme dans les coins des yeux, sur la conjonctive, dans la face interne des paupieres, des narines, de la bouche, de la gorge & des levres ; si l’on sent une grande chaleur même dans les extrémités du corps ; si les veines sont gonflées, & le pouls fort & plein ; si après un exercice violent, des chaleurs excessives, l’usage du vin ou d’autre liqueur chaude ou spiritueuse, les malades apperçoivent dans tous leurs muscles une tumeur molle, pleine & distensive, accompagnée d’une certaine immobilité qui les empêche de pouvoir fermer les poings ; s’ils commencent à appercevoir en eux une certaine paresse & un assoupissement accompagné de larmes.

Prognostic. Tous les symptomes déja décrits pourront être prédits, & on pourra même annoncer que les fonctions du cerveau seront lésées, à cause qu’il y a une plénitude naturelle dans toutes les parties de la tête ; de-là vient que lorsque les gros vaisseaux remplis de sang rouge sont distendus, les vaisseaux les plus petits souffrent une compression, parce que les vaisseaux du crâne ne peuvent point céder ; de sorte que toutes les maladies du cerveau, depuis le vertige le plus léger jusqu’à l’apoplexie la plus funeste, peuvent venir d’une pléthore.

La curabilité de la pléthore dépend de son degré, de la violence & du nombre de ses symptomes.

Curation. La cure de la pléthore consiste dans la saignée, le travail & les veilles, à se nourrir d’alimens âcres après les évacuations convenables, & à cesser ou omettre peu-à-peu ces mêmes évacuations.

1°. La saignée est nécessaire, elle évacue la trop grande abondance de sang louable qui est la cause de tous les accidens dont on vient de parler ; d’où il suit que tout ce qui est capable de la diminuer, doit être salutaire & nécessaire ; mais rien n’est plus propre pour cet effet que la saignée, qui appaise immédiatement tous les symptomes. En effet, le médecin ne peut mieux faire que de suivre la méthode que la nature suit & indique elle-même dans la pléthore. Or on sait que dans toutes les maladies qui proviennent de la raréfaction & de la pléthore, rien ne guérit plus sûrement & plus efficacement que les hémorrhagies salutaires, sur-tout par le nez ; de là vient que les médecins égyptiens font des scarifications dans la plûpart des maladies.

La diete aide & acheve ce que la saignée a com-