Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/777

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fraîchissante, antiphlogistique, sédative ou calmante ; il est particulierement recommandé dans les ophtalmies, les brûlures, les dartres ulcérées, avec suppuration & démangeaison considérable : à l’égard du baume, il passe pour un bon mondificatif & un léger astringent ; néanmoins les médecins sages & expérimentés redoutent non-seulement cette qualité repercursive qui est commune à tous les remedes tirés du plomb ; mais ils font encore à ces remedes le reproche de renfermer un venin particulier, au point que l’application des lames ou plaques de plomb sur le pubis, à titre de ceinture de chasteté, si ridiculement vanté par quelques auteurs, n’est pas même sans danger, si l’on en croit ces médecins, qui desapprouvent à plus forte raison les gargarismes dans les angines, & les injections dans la gonorrhée, préparées avec les sel de Saturne ; mais il paroît que cette exclusion que ces médecins veulent donner aux préparations du plomb pour les usages externes, est trop générale & trop absolue ; on a constamment éprouvé au contraire que l’administration de ces remedes faite avec art & avec soin dans les cas énoncés, n’est non-seulement pas dangereuse, mais encore qu’elle a ses utilités ; nous en exceptons cependant les gargarismes & les injections déja mentionnées, comme approchant trop d’une application intérieure de ces remedes.

Les préparations de plomb destinées à l’usage intérieur sont, 1°. le vinaigre, l’huile & le sucre de Saturne, qui ne different entr’eux qu’en consistence, attendu que le vinaigre est une lessive d’une dissolution de sel de Saturne ; l’huile, la même liqueur concentrée, & le sucre un sel concret provenant des mêmes liqueurs, lequel doit presque être regardé comme étant toujours un ou le même, soit qu’on le prépare avec le vinaigre non distillé, soit avec le vinaigre distillé, soit enfin avec le tartre. A ces derniers remedes on peut joindre, comme leur étant très-analogue, la teinture anti-physique de Germanus, qui a été long-tems en vogue en Allemagne, & qui est une solution ou extraction par l’esprit-de-vin, du sel de plomb vitriolique & du sel de Mars acéteux : tous ces remedes sont, au rapport de Boerrhaave, très-salutaires dans l’hémophthisie, les hémorragies proprement dites, le pissement de sang, les gonorrhées, les fleurs blanches & autres maladies de cette espece ; cependant, de l’aveu de Boerrhaave lui-même, & de plusieurs autres médecins très-célebres, ils doivent être proscrits de l’art, comme dangereux, infideles, & bien éloignés d’ailleurs de tenir ce qu’ils promettent. Nous rapporterons, à l’appui de cette assertion, une remarque de Juncker, qui, à notre avis, n’est pas des moins graves. Voici ce que dit ce fameux auteur : « Les différens accidens funestes, dont nous avons fait mention, dissuadent de l’usage intérieur du plomb ; & il est surprenant qu’après la sévérité des défenses qu’on a faites de la dulcification des vins par la litharge, & qu’on a porté jusqu’à faire punir de mort il y a quelques années, un marchand de vin convaincu d’une pareille fraude, malgré ces défenses, dis-je, le sucre de Saturne soit regardé comme un remede salutaire dans plusieurs maladies, tandis qu’il n’est point de chimiste intelligent, pas même d’apprenti, qui ne s’apperçoive, d’après une juste analogie, qu’il doit y avoir un danger égal à employer des remedes qui proviennent de la même source ». Ferales casus passim notati internum ejus (plumbi scilicet) usum dissuadent, & mirum est cum vina lithargyrio dulcificata adeo damnata sint, ut quidam doliarius ob hanc fraudem supplicio capitis ante aliquot annos afficeretur, tamen saccharum Saturni multis in morbis salubre remedium prædicari, cum quivis industrius chimicus (& quidem vel rudissimus tiro) facile pervideat ex eodem fonte hic juxta comparatione parem

noxam expectari opportere. Voyez Juncker, Conspect. therap. gener. Quant aux accidens que désigne l’auteur,

il n’est personne qui ait fait quelque séjour dans les pays où l’on fait des vins verts, ou qui tirent des pareils vins des contrées voisines, qui n’ait été à portée de les observer : on accuse les marchands de vin allemands d’être dans l’usage de masquer par une manœuvre vraiment punissable cette acidité désagréable qui annonce dans le vin une disposition à tourner au vinaigre. Cette manœuvre consiste à mêler dans ces vins de la litharge ou du minium, qui en se mariant à l’acide du vin, déguise non-seulement sa saveur propre, mais lui donne encore un goût sucré, en faisant avec cet acide un véritable sel de Saturne. L’observation journaliere démontre que les terribles symptomes qui accompagnent la colique du Poitou, sont dûs bien souvent à la boisson de ces vins lithargirés. Il est fort commun de voir dans les hôpitaux de Paris de ces coliques dont la plûpart sont occasionnées par une pareille boisson.

Après avoir parlé de la maniere de sophistiquer les vins par la litharge, il ne sera pas inutile d’indiquer les moyens chimiques qu’on peut employer à découvrir cette fraude. 1°. Le goût seul chez les personnes qui ont les organes tant-soit-peu exercés par l’habitude des expériences chimiques, découvre cette douceur particuliere aux vins lithargirés ; cependant quoique ce témoignage des sens soit quelquefois d’une certitude qui va jusqu’au prodige, il ne sauroit former dans de pareilles occurrences un témoignage légal ; ainsi pour s’assurer de la maniere la moins équivoque de cette introduction du plomb dans les vins, on n’a qu’à y verser du foie d’arsenic préparé avec l’eau de chaux ; pour lors si les vins sont réellement lithargirés, ils se troubleront par l’apparition d’un précipité noirâtre. On a le complément de cette démonstration en décantant avec soin, ou en séparant par le filtre ce précipité, & le convertissant en plomb par le moyen d’un léger phlogistique, comme par exemple, le suif, &c. Voyez Encre sympathique.

Revenons maintenant à l’usage médicinal interne des sels retirés du plomb. Nous pensons, malgré les déclamations des auteurs contre l’administration de ces remedes, qu’ils pourront être employés comme secours externes dans certaines maladies rebelles, malo nodo, malus cuneus, toutes les fois qu’un maître de l’art, après une expérience raisonnée, suivie & variée de ces remedes, aura donné la maniere de les employer à d’autres observateurs prudens & circonspects comme lui, c’est-à-dire aux vrais médecins, qui seuls peuvent légitimement constater & évaluer l’utilité de pareilles observations, ou enfin, après que ces préparations de plomb auront été unanimement déclarées d’un usage sûr, & qu’on pourra les regarder sur le pié des remedes uniques, spécifiques, & qui méritent la préférence sur les vulgaires ; mais en attendant que des expériences de cette légitimité & autorité viennent enrichir l’art & rassurer l’artiste, il est d’un médecin raisonnable, & qui a l’ame honnête, de s’abstenir religieusement de l’administration d’un remede qui de sa nature est manifestement veneneux, ou tout-au-moins suspect, & qu’aucun succès, du moins d’une évidence reconnue, n’a jusqu’ici pû sauver du reproche d’être dangereux.

Nous finirons par considérer le plomb comme compris dans la classe des choses appellées non naturelles, c’est-à-dire, à l’influence desquelles plusieurs personnes sont exposées, soit fortuitement, soit habituellement ou par état. Nous avons déja touché quelque chose des qualités mal-faisantes du vin lithargiré, ou dans lesquels on a dissout du sucre de Saturne, & des dangers d’une pareille boisson ; le plomb entier & ses produits quelconques, introduits sous forme de vapeurs ou de poussiere très-fine, très-volatile, dans le