Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/837

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être jamais vû le jour, s’il eût fallu que les auteurs eussent assujetti leur génie à la rime & à la mesure. L’estimable auteur de Télémaque ne nous auroit jamais donné cet ouvrage enchanteur, s’il avoit dû l’écrire en vers ; il est de beaux poëmes sans vers, comme de beaux tableaux sans le plus riche coloris. (D. J.)

Poeme séculaire, (Belles-Lettres.) carmen seculare, nom que donnoient les Romains à une espece d’hymne qu’on chantoit ou qu’on récitoit aux jeux que l’on célébroit à la fin de chaque siecle de la fondation de Rome, qu’on appelloit pour cela jeux séculaires. Voyez Jeux seculaires.

On trouve un poëme de cette espece dans les ouvrages d’Horace, c’est une ode en vers saphiques qu’on trouve ordinairement à la fin de ses épodes, & qu’il composa par l’ordre d’Auguste l’an 737 de Rome, selon le pere Jouvency. Il paroît par cette piece que le poëme séculaire étoit ordinairement chanté par deux chœurs, l’un de jeunes garçons, & l’autre de jeunes filles. C’est peut-être par la même raison, que quelques commentateurs de ce poëte ont regardé comme un poëme séculaire la vingt-unieme ode de son premier livre, parce qu’elle commence par ces vers :

Dianam teneræ dicite virgines,
Intonsum pueri dicite Cynthium.

Mais la derniere strophe prouve que ce n’étoit qu’un de ces cantiques qu’on adressoit à ces divinités dans les calamités publiques, ou pour les prier de détourner des fléaux funestes, lorsque le peuple faisoit des vœux dans les temples de toutes les divinités adorées à Rome, ce qu’on appelloit supplicare ad omnia pulvinaria deorum.

PŒONIDÆ, (Géog. anc.) municipe de l’Attique, dans la tribu Léontienne, selon Suidas, qui remarque que ces peuples différoient des Pœnienses & des Pœonidi, deux autres municipes des Atheniens, dans la tribu Pandionide. (D. J.)

POÉSIE, (Beaux Arts.) c’est l’imitation de la belle nature exprimée par le discours mesuré ; la prose ou l’éloquence, est la nature elle-même exprimée par le discours libre.

L’orateur ni l’historien n’ont rien à créer, il ne leur faut de génie que pour trouver les faces réelles qui sont dans leur objet : ils n’ont rien à y ajouter, rien à en retrancher ; à peine osent-ils quelquefois transposer, tandis que le poëte se forge à lui-même ses modéles, sans s’embarrasser de la réalité.

De sorte que si l’on vouloit définir la poésie, par opposition à la prose ou à l’éloquence, que je prens ici pour la même chose ; on s’en tiendroit à notre définition. L’orateur doit dire le vrai d’une maniere qui le fasse croire, avec la force, & la simplicité qui persuadent. Le poëte doit dire le vraissemblable d’une maniere qui le rende agréable, avec toute la grace & toute l’énergie qui charment, & qui étonnent ; cependant comme le plaisir prépare le cœur à la persuasion, & que l’utilité réelle flatte toujours l’homme, qui n’oublie jamais son intérêt ; il s’ensuit que l’agréable & l’utile doivent se réunir dans la poésie & dans la prose ; mais en s’y plaçant dans un ordre conforme à l’objet qu’on se propose dans ces deux genres d’écrire.

Si l’on objectoit qu’il y a des écrits en prose qui ne sont l’expression que du vraissemblable ; & d’autres en vers qui ne sont l’expression que du vrai ; on répondroit que la prose & la poésie étant deux langages voisins, & dont le fonds est presque le même, elles se prêtent mutuellement, tantôt la forme qui les distingue, tantôt le fonds même qui leur est propre ; de sorte que tout paroît travesti.

Il y a des fictions poétiques qui se montrent avec

l’habit simple de la prose ; tels sont les romans & tout ce qui est dans leur genre. Il y a même des matieres vraies, qui paroissent revêtues & parées de tous les charmes de l’harmonie poëtique ; tels sont les poëmes didactiques & historiques. Mais ces fictions en prose, & ces histoires en vers, ne sont ni pure prose, ni poésie pure ; c’est un mélange des deux natures, auquel la définition ne doit point avoir égard ; ce sont des caprices faits pour être hors de la regle, & dont l’exception est absolument sans conséquence pour les principes. Nous connoissons, dit Plutarque, des sacrifices qui ne sont accompagnés ni de chœurs, ni de symphonies ; mais pour ce qui est de la poésie, nous n’en connoissons point sans fables & sans fiction. Les vers d’Empédocles, ceux de Parménide, de Nicander, les sentences de Théognide, ne sont point de la poësie, ce ne sont que des discours ordinaires, qui ont emprunté la verve & la mesure poétique, pour relever leur style & l’insinuer plus aisément.

Cependant, il y a différentes opinions sur l’essence de la poésie ; quelques-uns font consister cette essence dans la fiction. Il ne s’agit que d’expliquer le terme, & de convenir de sa signification. Si par fiction, ils entendent la même chose que feindre ou fingere chez les Latins ; le mot de fiction ne doit signifier que l’imitation artificielle des caracteres, des mœurs, des actions, des discours, &c. tellement que feindre sera la même chose que représenter ou contrefaire ; alors cette opinion rentre dans celle de l’imitation de la belle nature que nous avons établie en définissant la poésie.

Si les mêmes personnes resserrent la signification de ce terme, & que par fiction, ils entendent le ministere des dieux que le poëte fait intervenir pour mettre en jeu les ressorts secrets de son poëme ; il est évident que la fiction n’est pas essentielle à la poésie ; parce qu’autrement la tragédie, la comédie, la plûpart des odes, cesseroient d’être de vrais poëmes, ce qui seroit contraire aux idées les plus universellement reçues.

Enfin, si par fiction on veut signifier les figures qui prêtent de la vie aux choses inanimées, & des corps aux choses insensibles, qui les font parler & agir, telles que sont les métaphores & les allégories ; la fiction alors n’est plus qu’un tour poétique, qui peut convenir à la prose même ; c’est le langage de la passion qui dédaigne l’expression vulgaire ; c’est la parure, & non le corps de la poésie.

D’autres ont cru que la poésie consistoit dans la versification ; ce préjugé est aussi ancien que la poésie même. Les premiers poëmes furent des hymnes qu’on chantoit, & au chant desquels on associoit la danse ; Homere & Tite-Live en donneront la preuve. Or, pour former un concert de ces trois expressions, des paroles, du chant, & de la danse ; il falloit nécessairement qu’elles eussent une mesure commune qui les fit tomber toutes trois ensemble ; sans quoi l’harmonie eut été déconcertée. Cette mesure étoit le coloris, ce qui frappe d’abord tous les hommes ; au lieu que l’imitation qui en étoit le fonds & comme le dessein, a échappé à la plûpart des yeux qui la voient sans la remarquer.

Cependant cette mesure ne constitua jamais ce qu’on appelle un vrai poëme ; & si elle suffisoit, la poësie ne seroit qu’un jeu d’enfant, qu’un frivole arrangement de mots que la moindre transposition feroit disparoître.

Il n’en est pas ainsi de la vraie poésie ; on a beau renverser l’ordre, déranger les mots, rompre la mesure ; elle perd l’harmonie, il est vrai, mais elle ne perd point sa nature ; la poésie des choses reste toujours ; on la retrouve dans ses membres dispersés, cela n’empêche point qu’on ne convienne qu’un poë-