Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 12.djvu/905

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tirées de la droite raison & de l’équité naturelle que les bons suivent volontairement, & auxquelles la force contraint les méchans de se soumettre du-moins en apparence. Entre les lois, les unes tendent au bien général de la société ; les autres ont pour but le bien des particuliers. La connoissance des premieres est ce qu’on entend par la science du droit public. La science du droit privé a pour objet la connoissance des secondes.

Les Grecs donnoient le nom de police à la premiere branche : leur πολιτεία s’étendoit donc à toutes les formes différentes de gouvernement : on pouvoit même dire en ce sens la police du monde, monarchique ici, aristocratique ailleurs, &c. & c’étoit l’art de procurer à tous les habitans de la terre une vie commode & tranquille. En restreignant ce terme à un seul état, à une seule société, la police étoit l’art de procurer les mêmes avantages à un royaume, à une ville, &c.

Le terme police ne se prend guere parmi nous que dans ce dernier sens. Cette partie du gouvernement est confiée à un magistrat qu’on appelle lieutenant de police. C’est lui qui est particulierement chargé de l’exécution des lois publiées pour procurer aux habitans d’une ville, de la capitale par exemple, une vie commode & tranquille, malgré les efforts de l’erreur & les inquiétudes de l’amour propre & des passions. Voyez l’article suivant.

On voit évidemment que la police a dû varier chez les différens peuples. Quoique son objet fût le même par-tout, la commodité & la tranquillité de la vie ; c’est le génie des peuples, la nature des lieux qu’ils habitoient, les conjonctures dans lesquels ils se trouvoient, &c. qui ont décidé des moyens propres à obtenir ces avantages.

Les Hébreux, les premiers peuples de la terre, ont été les premiers policés. Qu’on ouvre les livres de Moise, on y verra des lois contre l’idolâtrie, le blaspheme, l’impureté ; des ordonnances sur la sanctification du jour du repos & des jours de fêtes ; les devoirs réciproques des peres, des meres, des enfans, des maitres & des serviteurs fixés, des decrets somptuaires en faveur de la modestie & de la frugalité ; le luxe, l’intempérance, la débauche. les prostitutions, &c. proscrites : en un mot, un corps de lois qui tendent à entretenir le bon ordre dans les états ecclésiastiques, civils & militaires ; à conserver la religion & les mœurs ; à faire fleurir le commerce & les arts ; à procurer la santé & la sûreté ; à entretenir les édifices ; à substenter les pauvres ; & à favoriser l’hospitalité.

Chez les Grecs, la police avoit pour objet la conservation, la bonté, & les agrémens de la vie. Ils entendirent par la conservation de la vie ce qui concerne la naissance, la santé & les vivres. Ils travailloient à augmenter le nombre des citoyens, à les avoir sains, un air salubre, des eaux pures, de bons alimens, des remedes bien conditionnés, & des médecins habiles & honnêtes gens.

Les Romains, en 312, envoyerent des ambassadeurs en Grece chercher les lois & la sagesse. De-là vient que leur police suivit à-peu-près la même division que celle des Athéniens.

Les Francois & la plûpart des habitans actuels de l’Europe ont puisé leur police chez les anciens. Avec cette différence, qu’ils ont donné à la religion une attention beaucoup plus étendue. Les jeux & les spectacles étoient chez les Grecs & les Romains une partie importante de la police : son but étoit d’en augmenter la fréquence & la somptuosité ; chez nous elle ne tend qu’à en corriger les abus & à en empêcher le tumulte.

Les objets particuliers de la police parmi nous sont la religion, les mœurs, la santé, les vivres, la sûreté, la tranquillité, la voirie, les Sciences & arts libé-

raux ; le commerce, les manufactures & arts méchaniques,

les domestiques, manœuvres & pauvres.

Nous venons de voir quels étoient les objets de la police chez les différens peuples, passons aux moyens dont ils ont usé pour la faire.

L’an 2904 du monde, Menès partagea l’Egypte en trois parties, chaque partie en dix provinces ou dynasties, & chaque dynastie en trois préfectures. Chaque préfecture fut composée de dix juges, tous choisis entre les prêtres ; c’étoit la noblesse du pays. On appelloit de la sentence d’une préfecture à celle d’un nomos, ou de la jurisdiction ou parlement d’une des trois grandes parties.

Hermès Trismegiste, secrétaire de Menès, divisa les Egyptiens en trois classes ; le roi, les prêtres, & le peuple : & le peuple en trois conditions ; le soldat, le laboureur, & l’artisan. Les nobles ou les prêtres pouvoient seuls entrer au nombre des ministres de la justice & des officiers du roi. Il falloit qu’ils eussent au-moins vingt ans, & des mœurs irréprochables. Les enfans étoient tenus de suivre la profession de leurs peres. Le reste de la police des Egyptiens étoit renfermée dans les lois suivantes. Premiere loi, les parjures seront punis de mort. Seconde loi, si l’on tue ou maltraite un homme en votre présence, vous le secourrez si vous pouvez, à peine de mort : sinon, vous dénoncerez le malfaiteur. Troisieme loi, l’accusateur calomnieux subira la peine du talion. Quatrieme loi, chacun ira chez le magistrat déclarer son nom, sa profession : celui qui vivra d’un mauvais commerce, ou fera une fausse déclaration, sera puni de mort. Cinquieme loi, si un maître tue son serviteur, il mourra ; la peine devant se régler, non sur la condition de l’homme, mais sur la nature de l’action. Sixieme loi, le pere ou la mere qui tuera son enfant, sera condamné à en tenir entre ses bras le cadavre pendant trois jours & trois nuits. Septieme loi, le parricide sera percé dans tous les membres de roseaux pointus, couché nud sur un tas d’épines, & brûlé vif. Huitieme loi, le supplice de la femme enceinte sera différé jusqu’après son accouchement : en agir autrement, ce seroit punir deux innocens, le pere & l’enfant. Neuvieme loi, la lâcheté & la désobéissance du soldat seront punies à l’ordinaire : cette punition consistoit à être exposé trois jours de suite en habit de femme, rayé du nombre des citoyens, & renvoyé à la culture des terres. Dixieme loi, celui qui révélera à l’ennemi les secrets de l’état, aura la langue coupée. Onzieme loi, quiconque altérera la monnoie, ou en fabriquera de fausse, aura les poings coupés. Douzieme loi, l’amputation du membre viril sera la punition du viol. Treizieme loi, l’homme adultere sera battu de verges, & la femme aura le nez coupé. Quatorzieme loi, celui qui niera une dette dont il n’y aura point de titre écrit, sera pris à son serment. Quinzieme loi, s’il y a titre écrit, le débiteur payera ; mais le créancier ne pourra faire excéder les intérêts au double du principal. Seizieme loi, le débiteur insolvable ne sera point contraint par corps : la société partageroit la peine qu’il mérite. Dix-septieme loi, quiconque embrassera la profession de voleur, ira se faire inscrire chez le chef des voleurs qui tiendra registre des choses volées & qui les restituera à ceux qui les réclameront, en retenant un quart pour son droit & celui de ses compagnons. Le vol ne pouvant être aboli, il vaut mieux en faire un état, & conserver une partie que de perdre le tout.

Nous avons rapporté ces regles de la police des Egyptiens, parce qu’elles sont en petit nombre, & qu’elles peuvent donner une idée de la justice de ces peuples. Il ne sera pas possible d’entrer dans le même détail sur la police des Hébreux. Mais nous aurons ici ce qui nous manque d’un autre côté ; je veux dire une