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son habileté dans le prognostic, & de ses connoissances sur le pouls. D’ailleurs les observations postérieures ont confirmé, comme nous le verrons plus bas, une partie de sa doctrine. On peut jusqu’à un certain point, déterminer ce qu’il y a de réel ou d’idéal dans ses descriptions, par ce principe ; que les pouls qui ne naissent point de ses divisions, & qui n’entrent qu’avec peine dans ses classes, doivent leur origine à l’observation ; tels sont les dicrotes, les caprisans, les miures, les ondulans, les vermiculaires, les formicans, & même les intermittens. 2°. Les pouls simples, soit égaux, soit inégaux, sont aussi observés : quant aux combinaisons & aux subdivisions minutieuses, elles décelent ouvertement l’opération de l’esprit, & le travail du cabinet ; on peut sans risque refuser de les croire & les négliger. Les Méchaniciens dont nous parlerons dans un moment, aussi méthodistes que Galien, plus théoriciens & moins observateurs que lui, ont dans la détermination du pouls, suivi une route contraire, admettant ceux qu’ils voyoient découler de leurs principes, & qu’ils pouvoient expliquer, & traitant de chimériques ceux dont ils ne concevoient pas l’origine & la formation ; aussi se sont-ils particulierement déchaînés contre cette nomenclature de Galien.

3°. Sur les causes du pouls. La doctrine de Galien sur cette partie, est très-obscure, & paroît absurde & extraordinaire par l’ignorance où nous sommes de sa langue. Chaque âge, chaque pays, & chaque climat même non-seulement a un idiome différent, mais aussi une façon particuliere d’exprimer souvent les mêmes idées, un tour de phrase singulier ; & c’est souvent faute d’entendre ce langage que nous condamnons légerement des choses que nous approuvons sous d’autres termes.

La faculté que Galien fait inhérente aux parois des arteres, paroît très-naturelle ; elle eût été appellée par les Sthaliens, nature ou ame ; élasticité simplement par les Méchaniciens, & irritabilité ou contractilité par d’autres. L’usage que Galien regarde comme une seconde cause de la génération du pouls, est un mot qui exprimeroit à merveille dans le langage des animistes, le motif qui détermine leur ame ouvriere à faire & à varier le pouls suivant le besoin. Quant à son excrément fuligineux né de l’adustion du sang qui choque d’abord les oreilles ; lorsqu’on l’examine, on voit que ce n’est autre chose que ce que les modernes appellent matiere de secrétions, superflus de la nourriture, humeurs excrémentitielles, &c. noms aussi vagues & indéterminés. Et il ne s’éloigne pas de la vérité, lorsqu’il dit que l’usage de la contraction étant d’expulser, elle doit augmenter en fréquence, en vîtesse, en grandeur, lorsqu’il s’est accumulé. Les modernes ne disent-ils pas que la même chose arrive, ou qu’il y a fievre, lorsque les excrétions sont supprimées, lorsqu’elles ne se font pas bien, que le sang est altéré, que les extrémités artérielles sont obstruées ? &c. Les explications qu’il donne des différens pouls, sont quelquefois assez naturelles ; nous ne dissimulerons pas, que pour suivre les divisions qu’il a établies dans le premier livre, il est obligé d’entrer dans des détails aussi minutieux, & d’imaginer des causes qui ne sont pas moins chimériques. Pour ce qui regarde les changemens qui arrivent au pouls par l’action des causes extérieures ou accidentelles, ce sont des choses que l’observation seule peut décider. Nous ne nierons pas que quelques-uns paroissent évidemment une suite de son système, & plutôt imaginés qu’observés. Nous avertirons en même tems que nous avons fait quelques observations qui sont favorables, à ce qu’il avance, nous en avons rapporté une plus haut ; c’est en suivant la même route qu’on pourroit vérifier entierement des points aussi importans.

4°. Sur les présages. Ce que nous avons dit sur les différences, & sur les causes du pouls, est aussi appliquable aux présages qu’on doit ou qu’on peut en tirer dans le système de Galien : le même minutieux, le même arbitraire regne ici. On prétend des modifications du pouls données, remonter à la connoissance des causes, ou parvenir à déterminer l’état actuel ou futur de la maladie ; & c’est toujours en conséquence des principes établis & censés vrais, & des différences supposées ; mais un édifice construit sur des fondemens aussi peu certains, peut-il être solide ? Il n’est souvent pas même brillant. Cependant par la raison qu’il y a des différences réelles & des causes assez naturelles, il doit y avoir des présages justes & assurés. Il est certain, par exemple, que le pouls languissant est un effet & un signe nullement équivoque de la foiblesse de la faculté. La dureté du pouls indique bien évidemment la dureté de l’artere, d’où l’on peut remonter assez surement à la connoissance d’une inflammation dans des parties membraneuses tendues, ou de quelque affection spasmodique, &c. La partie du pronostic semble n’être qu’un extrait de l’observation. Galien détaille avec beaucoup de justesse quelques pouls critiques, & dans ces chapitres il ne se permet aucun raisonnement ; il ne pense pas à donner l’explication des différences de ces pouls, il ne donne que des faits, que des observations ultérieures ont étendu & confirmé ; quelles lumieres n’aurions-nous pas tiré de ces ouvrages, s’il ne se fût jamais écarté de cette route ; & même dans ce qu’il a fait, quel champ vaste & fécond n’a-t-il pas ouvert aux observateurs ? Mais leur paresse, leur ignorance, ou leur mauvaise foi, l’a laissé inculte & sterile pendant plus de six cens ans. Encore est-ce le hasard, qui après un si long espace de tems, a réveillé l’attention des Médecins ?

Doctrine des Méchaniciens sur le pouls. Bellini est un des premiers & des plus célebres auteurs qui ait consideré le pouls méchaniquement. (Laurent. Bellin. de urinâ pulsib. & opuscul. præctic). Hoffman a suivi son système, & a prétendu prouver dans une dissertation particuliere, que le pouls devoit être assujetti aux regles de la méchanique. (De puls. natur. & gemin. different. & usu in præst. tom. VI. vol. iv.) Boerhaave, & tous ses sectateurs, tous les médecins qui ont embrassé la théorie vulgaire, fondée sur la fameuse circulation du sang mal conçue & trop généralisée, & sur les lois insuffisantes de la méchanique inorganique ; tous ces médecins, dis-je, qui font encore le parti le plus nombreux, & presque dominant dans les écoles, ont adopté leurs opinions sur le pouls. Ils font peu d’usage de ce signe, l’examinent sans attention, & n’en tirent que peu de connoissances & très-incertaines ; mais en revanche ils en font un objet important de leurs dissertations, de leurs disputes & de leurs calculs. Ils le soumettent aux analyses mathématiques, & s’occupent beaucoup plus à en déterminer géométriquement & la force & les causes, qu’à saisir comme il faut ses différences, & en évaluer au juste les significations. Voici à quoi se réduit leur doctrine.

1°. Sur les différences. Ils appellent avec Galien, pouls, le double mouvement de systole & de diastole que l’on apperçoit au cœur, & principalement aux arteres. Ils regardent comme le fruit d’une oisive subtilité, toutes les divisions minutieuses que Galien a détaillées avec tant d’exactitude ; ils rejettent aussi hardiment, mais avec moins de raison, les différentes especes de pouls, désignées par les noms des choses avec lesquelles on a cru leur trouver quelque ressemblance, comme les myures, ondulans, discrotes, caprisans, &c. ils se moquent de ces comparaisons inexactes, de ces images grossieres & de ces