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la goulette, les uns le tirent de ce barlon, à mesure qu’il se remplit, avec des seaux de bois ; les autres avec des chaudrons de cuivre, qui, faute d’être bien récurés chaque fois qu’on cesse de s’en servir, communiquent leur verd-de-gris au vin dont on remplit les poinçons, le transportent dans un grand barlon aussi découvert, ou dans plusieurs autres moyens vaisseaux, suivant leurs commodités : ils tirent ensuite, & de la même façon, du barlon de la goulette, les vins de taille & de pressoir, les transportent pareillement dans d’autres vaisseaux, chacun en particulier.

Les vins de cuvée, de taille & de pressoir faits, les pressureurs les transportent, d’abord celui de cuvée & ensuite les autres, dans le cellier ; & les entonnent dans des poinçons rangés sur des chantiers couchés sur terre, & souvent peu solides.

Un homme au barlon emplit les hottes ; deux autres les portent au cellier, & les versent dans de grands entonnoirs de bois placés sur les poinçons, & en portent dans chaque hottée deux ou trois seaux, lesquels seaux peuvent contenir chacun environ treize à quatorze pintes, mesure de Paris ; un autre se tient au cellier pour changer les entonnoirs à mesure qu’on verse une hottée dans chaque poinçon, & il a soin de marquer chaque hottée sur la barre du poinçon pour ne se pas tromper ; ce qui leur arrive cependant fort souvent. Quand les deux porteurs de hottes ont versé chacun une hottée de vin dans chaque poinçon (cela s’appelle en Champagne faire une virée), ils recommencent une autre virée dans les mêmes poinçons, & ils continuent de même jusqu’à ce que tout le vin soit entonné. Si après une premiere, seconde, ou troisieme virée, il reste quelque vin dans le barlon, & qu’il y ait encore quelques moyens vaisseaux à vuider, & dont le vin doive être entonné dans les mêmes poinçons, le pressureur placé au barlon, verse le vin de ces moyens vaisseaux dans le grand barlon, & avec une pelle de bois le remue fortement pour le bien mélanger avec celui qui étoit resté dans le barlon ; ensuite ils continuent leurs virées jusqu’à ce que tout le vin soit entonné. Ils en usent de même à l’égard des vins de taille & de pressoir. Les uns emplissent leurs poinçons à un pouce près de l’ouverture, pour leur faire jetter dehors toute l’impureté dans le tems de la fermentation. Les autres ne les emplissent qu’à quatre pouces au-dessous de l’embouchure, pour les empêcher de jetter dehors. Nous dirons par la suite lequel de ces usages vaut le mieux.

Voilà l’usage des Champenois pour l’entonnage de leurs vins. Je demande si dans tous ces différens transports, ces changemens & reversemens d’un vaisseau dans un autre, le vin n’est pas étrangement battu & fatigué ; si on n’en répand pas beaucoup ; si le grand air qui frappe sur ces grands & larges vaisseaux entierement découverts, ne diminue pas la qualité du vin ; si le mélange en est bien fait ; si on peut s’assurer que chaque poinçon contient une qualité parfaitement égale. N’arrive-t-il pas quelquefois que le pressureur, chargé du soin de l’entonnoir, oublie de le changer, & laisse verser deux hottées d’une même virée dans un même poinçon ? ce qui le fait différer de qualité d’avec les autres, & ce qui en fait perdre une partie, qui se répand faute de s’être apperçu de cette erreur. Le moyen de se parer de ces inconvéniens, est de suivre la maxime que je vais prescrire.

On peut préserver le vin de la corruption que l’air lui occasionne, dès le moment que le vin sortant du pressoir par goulette ou beron, répand dans les barlons R Q. Planc. prem. Pour y parvenir, il ne s’agit que de lui donner un double fond serré dans son garle, à six pouces au-dessous du bord d’en-haut. Quand

ces barlons sont pleins, on bouche l’ouverture du fond par lequel le vin y entre, avec une quille de bois de frêne : alors avec le soufflet, tel que celui qu’on voit en V, qu’on place à une ouverture du fond de ce barlon, on en fait sortir chaque fois qu’il est plein, le vin qui s’éleve dans le tuyau de fer blanc ST, & qui coulant le long de ce tuyau, se répand, comme on le voit, par un entonnoir T, dans un grand barlon VY, fermé aussi d’un double fond, à deux pouces près du bord, & contre-barré dessus & dessous par une chaîne de bois à coin.

Je ne prescris pour le barlon de la goulette les six pouces de distance du double fond au bord d’en-haut, que pour se conserver un espace suffisant pour contenir le vin qui sort de la goulette, pendant qu’on foule par le moyen du soufflet, celui du barlon, pour l’en faire sortir & le conduire par le tuyau ST, dans le grand barlon. Ainsi cette distance de six pouces est absolument nécessaire.

Quand tout le vin qui doit composer la cuvée est écoulé dans le grand barlon, on le bouche pareillement avec le même soufflet. On retire l’entonnoir T, & l’on bouche avec une quille de bois l’ouverture dans laquelle il entroit. On fait sortir de ce barlon le vin, qui, s’élevant dans le tuyau YZ qui y communique, se répand en même tems & également dans chacun des poinçons, par l’ouverture des fontaines abcd123456, qui sont jointes à ce tuyau, & dont les clés ne s’ouvrent qu’autant que la force de la pression l’exige, pour qu’il n’entre pas plus de vin dans un vaisseau que dans l’autre, tout ensemble.

Pour parvenir à cette juste & égale distribution de vin dans chaque poinçon, il faut observer que le vin qui coule du tuyau ef, s’écoulant dans le même tuyau, à droite & à gauche, doit tomber avec plus de précipitation par les fontaines du milieu 1, a, que par ses deux voisines de droite & de gauche, 2 & 6 ; & plus à proportion par ces deux dernieres, que par celles qui les suivent ; de même que ce vin trouvant une résistance aux extrémités fermées de ce tuyau, doit couler plus précipitamment par les fontaines 6 d, que par celles 6 c, par lesquelles le vin doit couler un peu moins vîte que par les 46. C’est pour parvenir à cette égale distribution, que nous avons adjoint à ce tuyau des fontaines dont on ouvre plus ou moins les clés. Ces clés étant suffisamment ouvertes à chaque fontaine, suivant l’expérience qu’on en aura faite pour cette distribution, on les arrêtera & fixera au point où elles sont, avec un fil de fer, soit par la soudure, afin qu’elles ne changent plus de situation, & qu’on soit assuré que chaque fois qu’on s’en servira, elles auront le même effet.

Il est facile de remarquer que l’entonnage se fait de cette maniere, en même tems dans chaque poinçon, avec une égalité des plus parfaites, puisque le vin qui s’y répand, prend toujours son issue du même centre de ce barlon.

Il faut, comme on l’a déja dit, laisser à chaque poinçon quatre pouces de vuide, suivant la grandeur, largeur & profondeur, qu’on donnera au coffre du pressoir, & qui fixeront la quantité de vin de cuvée que le pressoir pourra rendre : on se réglera pour donner la contenance, au grand barlon ; & si l’on donne, par exemple, à ce barlon la contenance de douze, quinze, ou dix-huit poinçons, on donnera au tuyau douze, quinze, ou dix-huit fontaines, & au chantier ggfff, la longueur suffisante pour tenir douze, quinze, ou dix-huit poinçons de front. On donnera à ce chantier la forme qu’il a.

Il est encore à propos d’observer que le marc renfermé dans le pressoir, ne peut rendre autant de vin que le grand barlon en peut contenir. Quelquefois on n’a de vendange que pour faire trois, quatre,