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le Pere, le Fils & le Saint-Esprit étoient le même sans aucune distinction de personnes. Ils sembloient différer des Manichéens en ce qu’ils ne rejettoient pas l’ancien Testament ; mais ce n’étoit qu’artifice, car ils l’expliquoient tout par des allégories à leur mode, & joignoient aux livres canoniques plusieurs écrits apocriphes. Ils s’abstenoient de manger de la chair comme immonde, & en haine de la génération ils rompoient les mariages même sans le consentement des parties. Ils jeûnoient le dimanche, le jour de Pâques & celui de Noël, & se retiroient ces jours-là pour ne pas se trouver à l’église, parce qu’en haine de la chair ils croyoient que Jesus-Christ n’étoit né ni ressuscité qu’en apparence. Ils recevoient dans l’église l’Eucharistie comme les autres, mais ils ne la consumoient pas. Ils s’assembloient de nuit entr’eux, & prioient nuds hommes & femmes, commettant beaucoup d’impuretés qu’ils couvroient d’un profond secret ; car ils avoient pour maxime de tout nier quand ils étoient pressés, ce qu’ils exprimoient par ce vers latin :

Jura, perjura, secretum prodere noli.
Jure, parjure-toi, mais garde le secret.

Priscillien leur chef ayant été convaincu de ces erreurs, & d’avoir souvent prié nud avec des dévotes de sa secte, fut d’abord condamné dans un concile tenu à Saragosse en 381, & dans un autre tenu à Bordeaux en 385 ; & en ayant appellé à l’empereur Maxime, qui résidoit à Treves, il y fut de nouveau convaincu & condamné à mort avec plusieurs de ses partisans ; les autres furent envoyés en exil, ou poursuivis tant par les évêques que par les empereurs. Il y a apparence que cette secte ne fut pas d’abord entierement extirpée, & qu’il en subsistoit encore quelques restes en Espagne dans le vj. siecle, puisque le concile de Prague tenu en 563 renouvelle la condamnation de leurs erreurs. Fleury, dont les idées sont moins justes que celles de l’auteur de l’article suivant.

PRISCILLIANITE, (Hist. eccles.) on a nommé Priscillianites les sectateurs de la doctrine de Priscillien, noble espagnol qui vivoit au quatrieme siecle.

Sulpice Sévere, Hist. sacr. liv. II. nous apprend qu’il avoit de fort belles qualités, l’esprit vif, beaucoup d’éloquence & d’érudition : il étoit laborieux, sobre & sans avarice ; il étudia sous le rhéteur Helpidius, & donna peut-être dans quelques opinions des Gnostiques. Ainsi je ne disconviendrai pas que les Priscillianites n’ayent eu des erreurs, quoiqu’il soit difficile de savoir précisément quelles erreurs ils enseignoient, parce qu’on a eu soin de supprimer leurs livres & leurs apologies. Mais ce qu’il y a de sûr, c’est que S. Augustin avoue que leurs livres ne contenoient rien qui ne fût ou catholique, ou très-peu différent de la foi catholique ; & malgré cela, il ne laisse pas de dire que leur religion n’étoit qu’un mélange des erreurs des Gnostiques & des Manichéens : deux assertions bien opposées & assez difficiles à concilier.

Quoi qu’il en soit, on reproche à Priscillien d’avoir enseigné que le Fils de Dieu étoit ἀγέννητος, innascible, ou poine né ; & comme c’est-là la propriété du Pere, ce terme a fait dire que les Priscillianites étoient Sabelliens ; ce qui n’est pas vrai, si l’on entend par-là qu’ils confondoient les Personnes du Pere & du Fils. Ils croyoient la préexistence du Verbe ; mais ils ne croyoient pas que le Verbe fût Fils de Dieu ; ce titre ne convenoit, selon eux, à Jesus-Christ qu’entant qu’il est né de la Vierge. Ils disoient que l’Ecriture n’appelle jamais le Verbe, Fils de Dieu.

On les accuse aussi d’avoir cru que l’ame étoit consubstantielle à Dieu, parce qu’elle en tiroit son origine. On pourroit avoir mis au rang de leurs principes une conséquence qu’on en tiroit cette pratique

n’est que trop commune, & n’est rien moins que nouvelle. Ce qui favorise ma conjecture, c’est que des peres dont on vénere la mémoire, ont cru que l’ame émanoit de Dieu sans la croire consubstantielle à Dieu.

On attribue finalement à Priscillien d’avoir recommandé le mensonge ; mais il n’y en a d’autre preuve que le témoignage d’un nommé Fronton, qui fit semblant de se ranger parmi les Priscillianites pour découvrir leurs secrets, & qui prétend qu’une de leurs maximes étoit :

Jurez, parjurez-vous, mais ne révélez rien.
Jura, perjura, secretum prodere noli.

Il résulte des remarques précédentes que c’est peut-être beaucoup de reconnoître que les Priscillianites ont eu des erreurs, puisqu’il ne paroît qu’incertitude dans ce que l’on fait sur ce sujet ; & l’on auroit bien de la peine à prouver évidemment quelques erreurs des Priscillianites à un homme qui soutiendroit leur orthodoxie.

Il est du-moins certain que les crimes qu’on attribue à Priscillien & à ses sectateurs, ne s’accordent point avec ce que les historiens rapportent des mœurs & de la conduite des uns & des autres. On cite contr’eux un passage de Sulpice Sévere qui dit : que Priscillien fut oui deux fois devant Evodius, préfet du prétoire, & qu’il fut convaincu des crimes dont on l’avoit accusé, ne niant pas qu’il n’eût enseigné des doctrines obscenes, qu’il n’eût fait des assemblées nocturnes avec des femmes impudiques, & qu’il n’eût la coutume d’y prier tout nud avec elles. Ce passage paroît d’abord précis, sur-tout venant de la part d’un historien contemporain ; cependant il y a cent raisons qui détruisent la validité de ce témoignage, j’en indiquerai quelques-unes.

D’abord Sulpice Sévere peint lui-même Priscillien « comme un homme, ce sont ses termes, qui n’avoit pas moins d’esprit & d’érudition que de graces naturelles, de biens & de naissance ; austere d’ailleurs, s’exerçant dans les jeûnes, dans les veilles, désintéressé, usant de tout avec une extrème modération, enfin inspirant du respect & de la vénération à ceux qui l’approchoient ». Certainement voilà un chef d’Adamites coupable des plus grandes impuretés, qui n’a guere l’air d’un cynique impudent : voyons si parmi les Priscillianites ses disciples, il se trouve des gens qui lui ressemblent.

S. Jerôme parle de Latronien, qui fut décapité avec lui, sans nous en dire aucun mal. C’étoit un homme savant qui réussissoit si bien dans la poésie, qu’on le mettoit en parallele avec les poëtes du tems d’Auguste. Tibérien qui ne fut condamné qu’à l’exil, étoit un autre savant, dans lequel S. Jerôme ne trouve à reprendre que trop d’enflure dans son style ; mais ce n’est pas-là de l’adamisme. S. Ambroise parle avec une tendre compassion du vieux évêque Hyginus, qui fut aussi envoyé en exil, & qui n’ayant plus que le souffle, n’étoit pas un sujet propre à se laisser séduire aux appas de l’impudicité. En général, la secte priscillienne se distinguoit par la lecture des livres sacrés, par des jeûnes fréquens, par des pénitences rigoureuses ; de sorte, dit Sulpice Sévere qu’on reconnoissoit plutôt les Priscillianites à la modestie de leurs habits & à la pâleur de leurs visages, qu’à la différence de leurs sentimens.

Voici un autre témoignage bien avantageux aux mœurs des Priscillianites, c’est celui de Latinius Pacatus, orateur payen, & qui parvint par son mérite à la dignité proconsulaire sous les empereurs chrétiens. Dans le panégyrique de Théodose que cet orateur prononça devant ce prince, après qu’il eut vaincu Maxime, il parle en ces termes : « Pourquoi m’arrêterai-je à raconter la mort de tant d’hommes,