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à servir médiatement ou immédiatement aux besoins, aux commodités ou aux plaisirs de la vie. Ajoutez à cette idée de Puffendorf que les choses susceptibles de prix, doivent être non-seulement de quelqu’usage, véritablement ou idéalement ; mais encore être de telle nature, qu’elles ne suffisent pas aux besoins de tout le monde. Plus une chose est utile ou rare en ce sens-là, & plus son prix propre ou intrinseque hausse ou baisse. L’eau, qui est une chose si utile, n’est point mise à prix, excepté en certains lieux, & en certaines circonstances particulieres où elle se trouve rare.

Il n’y a rien qui ne puisse être mis à prix ; car il suffit que ceux qui traitent ensemble estiment tant ou tant une chose, pour qu’elle soit susceptible d’évaluation. Mais il y a des choses qui sont d’une telle nature, qu’il seroit fort inutile de les mettre à prix, comme la haute région de l’air, le vaste Océan, &c. qui ne sont point susceptibles de propriété.

Il y a d’autres choses qui ne doivent pas être mises à prix, parce qu’il y a quelque loi divine & humaine qui le défend ; si donc on met à prix ces sortes de choses défendues, c’est un prix deshonnête, quoiqu’en lui-même, aussi réel que celui qu’on attache aux choses les plus légitimes & les plus innocentes. Il faut cependant bien remarquer que ce n’est point mettre à prix, par exemple, la justice ou les choses saintes, lorsque les juges & les ministres publics de la religion reçoivent quelque salaire, pour la peine qu’ils prennent & le tems qu’ils donnent aux fonctions de leurs emplois. Mais un juge vend la justice, lorsqu’il se laisse corrompre par des présens, & un ministre public de la religion vend les choses sacrées, lorsqu’il ne veut exercer les fonctions particulieres de sa charge qu’en faveur de ceux qui ont de quoi lui faire des présens. Les collateurs des bénéfices, & des emplois ecclésiastiques, trafiquent aussi des choses saintes, lorsqu’ils conferent ces bénéfices & ces emplois, non au plus digne, mais par faveur, ou pour de l’argent.

Il y a diverses raisons qui augmentent ou diminuent le prix d’une seule & même chose, & qui font préférer une chose à l’autre, quoique celle-ci paroisse d’un égal, ou même d’un plus grand usage dans la vie. Car bien-loin que le besoin qu’on a d’une chose, ou l’excellence des usages qu’on en tire décide toujours de son prix ; on voit au contraire, que les choses dont la vie humaine ne sauroit absolument se passer sont celles qui se vendent à meilleur marché, parce que tout le monde les cultive ou les fabrique. On peut dire en général que toutes les circonstances qui augmentent le prix des choses, n’ont cette vertu qu’à cause qu’elles font d’une maniere ou d’autre que ce qui étoit plus commun le devient moins ; & quant aux choses qui sont d’un usage ordinaire ou continuel, c’est le besoin ou la nécessité jointes à la rareté qui en augmente le plus le prix.

Quelquefois une personne par quelque raison particuliere estime beaucoup plus certaine chose que ne fait toute autre personne, c’est ce que l’on appelle prix d’inclination, lequel ne décide rien pour la valeur réelle de la chose.

Quand il s’agit de déterminer le prix de telle ou telle chose en particulier, on se regle encore sur d’autres considérations outre celles des circonstances dont nous avons parlé ; & c’est alors les lois qui fixent le prix des choses.

Dans l’indépendance de l’état de nature, les conventions particulieres décident du prix de chaque chose, parce qu’il n’y a point de maître commun qui puisse établir les loix de commerce. Il est donc libre à chacun dans l’état de nature de vendre ou d’acheter sur le pié qu’il lui plaît, à moins cependant qu’il ne s’agisse de choses absolument nécessaires à la vie,

dont on a abondance, & dont quelqu’autre qui en a grand besoin ne peut se pourvoir ailleurs ; car alors il y auroit de l’inhumanité à se prévaloir de son indigence, pour exiger de lui un prix excessif d’une chose essentielle à ses besoins.

Mais dans une société civile le prix des choses se regle de deux manieres, ou par l’ordonnance du magistrat & par les lois, ou par l’estimation commune des particuliers, accompagné du consentement des contractans. La premiere sorte de prix est appellée par quelques-uns prix légitime, parce que le vendeur ne sauroit légitimement exiger rien au delà ; l’autre sorte de prix se nomme prix courant. On mesure le prix de toutes les choses, par ce qu’on nomme monnoie, à la faveur de laquelle on se pourvoit de tout ce qui est à vendre ; & l’on fait commodément toutes sortes de commerces & de contrats. La monnoie s’appelle prix éminent ou virtuel, parce qu’elle renferme virtuellement la valeur de chaque chose. Voyez Monnoie. (D. J.)

Prix de musique & de poésie, (Antiq. grecq.) les Grecs établirent des prix de musique & de poésie dans leurs quatre grands jeux publics ; les jeux olympiques, les pythiques, les isthmiques, & les néméens.

Cléomene le Rhapsode, selon Athenée, chanta aux jeux olympiques le poëme d’Empédocle intitulé les expiations, & le chanta de mémoire. Néron y disputa le prix de musique & de poésie, & fut déclaré vainqueur, comme le témoignent Philostrate & Suétone, lequel s’en explique en ces termes : Olympia quoque præter consuetudinem musicum agona commisit. Cet historien observe, comme l’on voit, que ce fut contre la coutume ; mais le passage d’Athenée fait foi que ce n’est pas la seule occasion où l’on y ait dérogé : outre que, suivant la remarque de Pausanias, il y avoit près d’Olympie un gymnase appellé Lalichmion, ouvert à tous ceux qui vouloient s’exercer à l’envi dans les combats d’esprit ou littéraires de toute espece, & d’où apparemment ceux de la poésie musicale n’étoient point exclus. Il y a même beaucoup d’apparence que le præter consuetudinem de Suétone (contre la coutume, par extraordinaire), ne tombe que sur la saison, ou sur le tems, où ces jeux furent célebrés exprès pour Néron. Selon Elien, Xénoclès & Euripide disputerent le prix de la poésie dramatique dans ces mêmes jeux, dès la 81. olympiade. Dans la 96, il y eut à Olympie un prix proposé pour les joueurs de trompette, & ce fut Timée l’Eléen qui le gagna.

Autant que les combats de musique semblent avoir été rares aux yeux olympiques, autant étoient-ils ordinaires aux pythiques, dont ils faisoient la premiere & la plus considérable partie. On prétend même que ceux-ci, dans leur origine, n’avoient été institués que pour y chanter les louanges d’Apollon, & y distribuer des prix aux poëtes musiciens qui se signalerent en ce genre. Le premier qu’on y couronna fut Chrysosthémis de Crete, après lequel reçurent le même honneur successivement Philammon & Thamyris, dont j’ai parlé plus haut ; Etheuther par le charme seul de sa voix, car il ne chantoit que la poésie d’autrui ; puis Céphalès, grand joueur de cithare ; Echembrote & Sacadas, excellens joueurs de flûte. On dit qu’Hésiode y manqua le prix, faute d’avoir su accompagner de la lyre les poésies qu’il y chanta.

Il paroît par un passage de Plutarque, & par un autre de l’empereur Julien, que les combats de musique & de poésie trouvoient aussi leur place dans les jeux isthmiques. A l’égard des néméens, le passage d’Hygin allégué sur ce point par Pierre du Faur, ne prouve que pour les jeux d’Argos ; & quoi qu’en dise celui-ci, le mythologiste ne les a point confondus avec