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reur. Cela n’étoit défendu qu’aux serfs ; servi autem regis vel ecelesiarum, non per actores, sed ipsi pro semet ip sis in judicio respondeant.

Il paroît que l’usage étoit changé du tems de Marculphe, qui vivoit vers l’an 660, & que l’on suivoit alors l’ancien droit romain, & que quand on n’étoit point dans quelqu’un des cas exceptés par la loi, il falloit une dispense pour comparoître en jugement pour autrui ; c’est ce que l’on connoît par la 21 formule du liv. II. de Marculphe.

Cet usage continua sous la seconde race, & encore long-tems sous la troisieme.

On trouve qu’en l’année 1208 l’université de Paris avoit demandé au pape Innocent III. la grace de plaider par procureur ; & quoique, selon ce pape, ce qu’elle demandoit fût de droit commun (ce qui doit s’entendre des cours ecclésiastiques), il ne laissa pas de l’accorder pour étendre son pouvoir.

Les établissemens de S. Louis que l’on sait être de l’année 1270, nous instruisent des cas & de la maniere dont on plaidoit alors par procureur. Le chap. cij. porte que si un homme vieux, infirme ou malade étoit cité en justice, & que ne venant pas, il mandât l’exoine de sa maladie, sa partie devoit attendre huit jours & huit nuits ; que si le plaignant pressoit pour avoir justice, le juge devoit envoyer vers le malade & lui faire dire de mettre un autre pour défendre en sa place ; & qu’en ce cas le fils devoit venir pour le pere, & à défaut d’enfans son héritier présomptif.

Le chap. viij. de la seconde partie de ces mêmes établissemens, qui est intitulé de l’office al procurateur, traite de la fonction des procureurs ou mandataires ; ces procureurs faisoient pourtant aussi fonction de procureurs ad lites ; car cette ordonnance déclare que nul procureur n’est reçu en court laie, si ce n’est de personne authentique, comme d’évêque, baron ou chapitre ; ou si ce n’est pas pour la cause d’une ville ou université, ou du consentement des personnes, il falloit envoyer les lettres à son adversaire.

Les particuliers pouvoient cependant aussi plaider par procureur pour contremans ou en cas d’exoine.

Beaumanoir, chap. iv. de ses coutumes de Beauvaisis qu’il écrivoit en 1283, dit qu’en demandant nul étoit ouï pour procureur ; & l’auteur du grand coutumier, qui vivoit sous Charles VI. dit qu’au procureur du demandeur en pays coutumier faut grace.

Mais lorsqu’il s’agissoit de plaider en défendant, chacun pouvoit constituer procureurs : gentilshommes, religieux, clercs, femmes, tous le pouvoient faire en défendant ; mais l’homme de poote ou serf ne le pouvoit en aucun cas, ce qui revenoit à la loi des ripuariens.

Quand celui qui avoit été semons, avoit juste raison pour ne pas comparoir ; il faisoit proposer son exoine ; il étoit permis de la débattre ; & si l’empêchement étoit de nature à durer trop long-tems, on obligeoit le défendeur à constituer procureur.

Tel étoit l’usage qui s’observoit en cour laie ; car en cour d’église, il étoit libre à chacun de plaider par procureur, soit en demandant ou en défendant.

La faculté de plaider par procureur n’avoit d’abord lieu que dans les justices royales, mais peu de tems après, en 1298, Boniface VIII. exhorta tous les seigneurs temporels de souffrir que les choses se passassent ainsi dans leurs justices à l’égard des religieuses, abbêsses & prieures, afin qu’elles n’eussent aucun prétexte pour quitter leur clôture.

On obligea pendant long-tems les parties de comparoître en personne au parlement ; les princes, les rois même étoient obligés d’y comparoître comme les autres ; on voit en effet dans l’arrêt célebre de 1283 rendu au sujet des apanages entre Philippe le Hardi & le roi de Sicile ; le parlement assigna un

jour aux deux rois, pour être présens à la prononciation du jugement.

On accordoit cependant quelquefois des dispenses pour comparoître par procureur ; ce fut ainsi que Louis, fils de Philippe-Auguste, plaida au parlement par un chevalier qu’il avoit établi son procureur ; le légat plaida en personne, il s’agissoit de la couronne d’Angleterre.

Dans la suite, les dispenses pour plaider par procureur devinrent de style commun : on accorda même des dispenses générales à certaines personnes, comme firent les établissemens de S. Louis, & l’ordonnance de 1290, qui permirent aux évêques, barons, chapitres, cités & villes de comparoître par procureurs ; on excepta seulement les causes délicates, & celles où leur présence pouvoit être nécessaire ; c’est de-là qu’au grand criminel il faut encore comparoître en personne.

La dispense accordée aux ecclésiastiques fut bientôt étendue à tout le monde.

Les laïcs qui plaidoient en demandant, eurent d’abord besoin de lettres chancellerie scellées du grand sceau, pour lesquelles on payoit six sols parisis à l’audiencier : le défendeur n’avoit pas besoin de lettres pour plaider par procureur.

Cet usage continua long-tems sous la troisieme race ; il falloit renouveller les lettres à chaque séance du parlement, ce qui apportoit un grand profit aux secrétaires du roi.

Le droit d’accorder ces lettres de grace à plaider par procureur fut mis au nombre des droits de souveraineté ; c’est ce qu’on lit dans l’instruction donnée en 1372 pour la conservation des droits de souveraineté & de ressort, & autres droits royaux dans la ville & baronie de Montpellier, cédées par Charles V. à Charles I. dit le mauvais roi de Navarre & comte d’Evreux. Cette instruction, article vj. porte qu’au roi seul appartient donner & octroyer sauvegarde, & graces à plaidoyer par procureur & lettres d’état, de nobilitation & de légitimation.

Pour éviter aux parties le coût de ces lettres qu’il falloit renouveller à chaque séance, le parlement prorogea lui-même gratuitement toutes ces dispenses par un arrêt qu’il rendoit à chaque rentrée du parlement, sur une requête qui lui étoit présentée par tous les procureurs.

Les procurations & dispenses étoient ainsi prorogées d’année en année, sans qu’il fût besoin de nouvelles lettres du prince.

Cela fut ainsi observé jusqu’en 1400, que Charles VI. par des lettres du 3 Novembre défendit de plaider au parlement par procureur en demandant, sans en avoir obtenu la permission par des lettres de chancellerie : il ordonna la même chose pour les procureurs au châtelet le 15 Novembre 1407.

Mais la nécessité de prendre de telles lettres fut abrogée par l’ordonnance du roi François I. de 1518, par laquelle il autorisa toutes les procurations tant qu’elles ne seroient point révoquées, & déclara que les procureurs pourroient ainsi occuper sans qu’il fût besoin de requérir d’autre autorisation.

Les procureurs n’ont même plus besoin de procuration depuis qu’ils ont été établis en titre. La remise des pieces leur tient lieu de pouvoir. Ils n’en ont besoin d’un nouveau que pour interjetter un appel, ou pour former de nouvelles demandes, & tout ce qu’ils font est valable jusqu’à ce qu’ils soient désavoués par leur partie, & le désaveu jugé valable.

Il est pourtant encore de maxime que l’on ne plaide point en France par procureur, c’est-à-dire que le procureur ne plaide pas en son nom, mais au nom de sa partie ; c’est toujours elle qui est en qualité dans les procédures & dans les jugemens.

Il y a pourtant quelques personnes exceptées de