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son indifférence philosophique ; c’est qu’auteur d’ouvrages, il en soignoit si peu les copies, qu’elles étoient pourries, rongées des rats, perdues, & que souvent il étoit obligé de suppléer les endroits défectueux, de mémoire. Il mourut âgé de 90 ans.

La secte pyrrhonienne dura peu. Elle s’éteignit depuis Timon le Phliasien jusqu’à Enésideme, contemporain de Cicéron. En voici les principaux axiomes.

Le Scepticisme est l’art de comparer entr’elles les choses qu’on voit & qu’on comprend, & de les mettre en opposition.

On peut opposer ou les choses qu’on voit à celles qu’on voit, ou les choses qu’on entend à celles qu’on entend, ou les choses qu’on entend à celles qu’on voit.

L’Ataraxie est le but du Scepticisme.

Son grand axiome, c’est qu’il n’y a point de raison qui ne puisse être contrebalancée par une raison opposée & de même poids.

Le sceptique ne décide rien ; ce n’est pas qu’il ne soit affecté comme les autres hommes, & que la sensation n’entraîne son jugement, mais il réserve son doute, pour l’opposer à l’orgueil des dogmatiques, pour qui tout est évident dans les sciences.

Sous ce point de vue, le sceptique ne forme point une secte ; toute secte supposant un systeme de plusieurs dogmes liés entr’eux, & énonçant des choses conformes aux objets des sens.

C’est un sectaire, en ce qu’il y a des apparences d’après lesquelles il se croit obligé de régler sa conduite.

Il ne nie point les apparences, mais bien tout ce qu’on affirme de l’objet apparent.

Il a trois motifs qui le déterminent à acquiescer aux apparences ; l’instruction naturelle ; l’effort des passions ; les lois, les usages & la tradition des arts.

Celui qui prononcera qu’il y a quelque chose de bon ou de mauvais en soi, sera troublé toute sa vie, tantôt par l’absence du bon, tantôt par la présence du mauvais ; il cherchera à éloigner une chose, & en rapprocher une autre, & il sera tout à ce travail.

Le sceptique peut se promettre l’ataraxie, en saisissant l’opposition des choses qu’on apperçoit par le sens & de celles qu’on connoît par la raison, ou par la suspension du jugement lorsque l’opposition dont il s’agit ne peut être saisie.

Il y a dix lieux communs qui conduisent à la suspension du jugement.

Le premier, c’est que les images varient selon la différence des animaux.

Le second, c’est que les images varient selon la différence des hommes ; elles ne sont pas les mêmes d’un homme à un autre.

Le troisieme se tire de la différence des sens ; ce qui est agréable à l’odorat est souvent désagréable au goût.

Le quatrieme, des circonstances ; comme les habitudes, les dispositions, les conditions, le sommeil, la veille, l’âge, le mouvement, le repos, l’amour, la haine, la faim, la satiété, la confiance, la crainte, la joie, le chagrin. Toutes ces choses influent d’un homme à un autre dans le même moment, & d’un homme à lui-même en différens momens, où il est d’expérience que les images varient.

Le cinquieme, des positions, des tems, des lieux, & des intervalles.

Le sixieme, de la combinaison, car aucun objet ne tombe solitaire sous nos sens ; peut-être pouvons-nous prononcer sur cette combinaison, mais non sur les objets combinés.

Le septieme, des quantités & des constitutions des sujets.

Le huitieme, des rapports.

Le neuvieme, de la fréquence & de la rareté des sensations.

Le dixieme, des constitutions, des coutumes, des lois, des superstitions, des préjugés, des dogmes qui présentent une foule d’oppositions qui doivent suspendre le jugement de tout homme circonspect, sur le fond.

A ces lieux des anciens sceptiques, ceux qui vinrent après en ajouterent cinq autres, la diversité des opinions du philosophe & du peuple, du philosophe au philosophe, du philosophe à l’homme du peuple, & de l’homme du peuple à l’homme du peuple ; le circuit des raisons à l’infini ; la condition de celui qui voit ou comprend relativement à l’objet vû ou compris ; les suppositions qu’on prend pour des principes démontrés, la pétition de principe dans laquelle on prouve une chose par une autre & celle-ci par la premiere.

Les étiologies des dogmatiques peuvent se réfuter de huit manieres ; en montrant 1° que l’espece de la cause assignée n’est pas de choses évidentes, ni une suite avouée de choses évidentes ; 2° qu’entre différens partis qu’on pourroit prendre, si l’on connoissoit toutes les raisons de se déterminer, on suit celui qu’il plaît aux dogmatiques qui celent ou qui ignorent les raisons qui rendroient perplexe ; 3° que tout ce qui est soumis à un ordre, & que leurs raisons n’en montrent point ; 4° qu’ils admettent les apparences comme elles se font, & qu’ils imaginent avoir conçu la maniere dont se font les non-apparens, tandis que les apparens & les non-apparens ont peut-être une même maniere d’être, peut-être une maniere particuliere & diverse ; 5° que presque tous rendent raison d’après des élémens supposés, & non d’après des dois générales, communes & avouées ; 6° qu’ils choisissent les phenomenes qui s’expliquent facilement d’après leurs suppositions, mais qu’ils ferment les yeux sur ceux qui les contredisent & les renversent ; 7° que les raisons qu’ils rendent répugnent quelquefois non-seulement aux apparences, mais à leurs propres hypothèses ; 8° qu’ils concluent des apparences à ce qui est en question, quoiqu’il n’y ait pas plus de clarté d’un côté que de l’autre.

Il est impossible d’apporter une raison qui convienne généralement à toutes les sectes de philosophes, aux sens, à la chose, aux apparences.

Le sceptique ne définit point son assentiment, il s’abstient même d’expressions qui caractérisent une négation ou une affirmation formelle. Ainsi il a perpétuellement à la bouche, « je ne définis rien, pas plus ceci que cela ; peut-être oui, peut-être non ; je ne sais si cela est permis ou non-permis, possible ou impossible ; qu’est-ce qu’on connoît ? être & voir est peut-être une même chose ».

Dans une question proposée par le dogmatique, le pour & le contre lui conviennent également.

Quand il dit qu’on ne comprend rien, cela signifie que de toutes les questions agitées entre les dogmatiques, il n’en a trouvé aucune parmi celles qu’il a examinées, qui soit compréhensible.

Il ne faut confondre le Scepticisme ni avec l’Héraclicisme, ni avec le Démocritisme, ni avec le système de Protagoras, ni avec la philosophie de l’académie, ni avec l’empirisme.

Il n’y a aucun caractere théorétique du vrai & du faux, il y en a un pratique. Le caractere théorétique qu’on apporte du vrai & du faux, doit avoir le sien ; je raisonne de même de celui-ci, & ainsi à l’infini.

Le caractere théorétique du vrai ou du faux, dans celui qui juge, ou dans l’homme, ne se peut ni entendre ni démontrer.

Quel est entre tant d’avis opposés, celui auquel il faut se conformer.

Le caractere du vrai & du faux considéré relative-